Le couple qui vinifiait des arbres

Une bonne saison des sucres vient de prendre fin dans la forêt de Saint-Paulin, en Mauricie. Or, dans l’érablière de Patrice Plouffe et de Clara Bonnes, ce qu’on célèbre surtout, c’est l’embouteillage des premiers vins acéricoles produits dans la région et destinés à la vente. Un rêve qui fermentait depuis plusieurs années…
Professeur d’administration au collège de Maisonneuve, à Montréal, Patrice Plouffe n’avait jamais entaillé d’érables, à l’exception de celui près de sa maison sur la rue Christophe-Colomb. Jusqu’au jour où il a acquis La ferme du loup, une érablière de 12 000 entailles, vieille d’un siècle. C’était en 2005.
« J’ai toujours eu un petit côté entrepreneur. Après avoir fait un MBA à HEC Montréal, je me cherchais un projet. J’ai vu une photo de l’érablière en vente sur Internet, et ça m’a fait rêver. En deux semaines, j’ai acheté la terre. C’était un peu fou ! » raconte-t-il en riant.
Dès la première coulée, il a eu le réflexe d’explorer les possibilités offertes par la sève d’érable et de la faire fermenter. Déjà vinificateur amateur grâce « aux raisins des Italiens de Montréal-Nord », il a vu dans ce premier vin acéricole — aussi appelé sével — les nombreuses possibilités provenant des érables. Année après année, une partie des récoltes servait à produire ce vin pour sa consommation personnelle et pour bonifier la recette de ce qui allait devenir un alcool doux et ambré, légèrement madérisé. Quand la famille et les amis ont commencé à l’apprécier, c’est là que le rêve d’en faire un projet commercial est devenu concret, relate M. Plouffe. Quatre ans plus tard, près de 1000 bouteilles de ce sével seront mises en marché cet été. « Je m’amuse beaucoup. Il y en a qui jouent au golf, moi, je fais du vin ! »

Suivant les tendances, le couple Plouffe-Bonnes a aussi élaboré le Petnat — pour pétillant naturel — en suivant la méthode ancestrale. Ce mousseux artisanal sec, sans sulfite et sans intrant, est fait à base de sève d’érable, de levure, de fruits et de fleurs sauvages de la région, poursuit Patrice Plouffe.
« On finit la fermentation dans la bouteille pour créer et emprisonner le gaz carbonique. C’est très simple. Et les gens l’apprécient beaucoup. »
Montrer l’autre côté de l’érable
Ce que Patrice Plouffe aime, pour sa part, c’est de « montrer l’autre côté de l’érable », celui « qu’on ne verse pas sur les crêpes », et plonger dans la richesse du terroir forestier de la Mauricie. « Je suis en train de concocter une recette de vermouth, un sével amer avec les aromates du coin : thé du Labrador, myrique baumier, rhubarbe. Ce sont des choses que tout le monde a dans la région, et c’est très intéressant à explorer. J’en ai rêvé toute la nuit passée ! »
Déjà reconnue pour ses sirops d’érable forestiers infusés au chaga ou aux conifères, La ferme du loup veut mettre davantage en valeur les saveurs locales, source inépuisable d’inspiration. Patrice Plouffe cite comme modèle le restaurant danois Noma, renommé pour sa réinterprétation de la cuisine nordique. « Réfléchir notre territoire, ça m’a poussé à suivre mon instinct et à mettre en valeur ce qu’on a. C’est toujours ça que je recherche : qu’est-ce qu’on peut faire de mieux avec le sirop d’érable ? Est-ce que, comme avec le vin, on peut faire reconnaître les différents terroirs ? »
Ces questionnements nourrissent bien des projets, dont la mise au point d’un saké. Pour le créateur, il n’y a pas de limites. Il croise les doigts pour voir ses produits se rendre dans les buvettes, les bars et les restaurants, de véritables ambassadeurs qui vulgarisent et rendent accessibles les boissons acéricoles. Par-dessus tout, il sent les Québécois prêts à la découverte et ouverts à une diversité de produits. « L’érable, c’est dans nos veines. »
Les premières caisses de sével et de Petnat seront mises en vente d’ici l’été, notamment à La boîte à vin et au Marché des saveurs du Québec, à Montréal.