Vins: Amarone della Valpolicella, poids lourds allégés

Autre époque, autres mœurs. Au début du XVIe siècle, les vignobles des vallées de la Negrar, de Fumane et du Marano, situés au nord de la jolie ville de Vérone en Italie, livraient déjà les baies flétries servant à l’élaboration d’un vin rouge riche, robuste et capiteux. Il est permis de penser que celui-ci agissait alors comme un puissant philtre d’amour aux nombreuses conquêtes d’un certain Giacomo Casanova qui allait naître deux siècles plus tard. Si l’Amarone della Valpolicella voyait alors le jour, il n’en était pas pour autant une caresse au palais. Sucré, lourd, capiteux, amer, rêche et riche en acidité volatile, il n’arborait certes pas les manières courtoises du célèbre tombeur vénitien. Le poids lourd s’est depuis hautement civilisé.
Il aura fallu attendre le milieu du XXe siècle, avec le professeur Giovanni Dalmasso (qui suggérait déjà de planter en altitude), mais surtout l’œnologue contemporain Roberto Ferrarini (conseiller des Quintarelli, Tedeschi, Allegrini, Brigaldara et autres) pour ajuster plus finement encore la chatoyante livrée du grand seigneur local. Une dégustation en compagnie d’Antonio Cesari, fils de Stefano qui consolidait le vignoble historique de Brigaldara au début des années 1980, permettait cette semaine de mesurer le chemin parcouru, mais surtout le style opéré sur les simples Valpolicella et Valpolicella Ripasso, et sur l’Amarone della Valpolicella, poids lourd allégé certes (16,5 % alc./vol. tout de même !), mais pourvu d’un éclat, d’une harmonie, d’une digestibilité peu communs.
Ce sont ici essentiellement les cépages corvina et corvinone qui ajustent, focalisent et habillent le valpolicella classique tout comme le type « Ripasso » (ajout de moût non pressuré d’amarone ou de raisins légèrement passerillés pour relancer les fins de fermentation tout en bonifiant sur le plan de l’alcool et de la structure le simple valpolicella), ou encore le majestueux Amarone issu d’une dessiccation méthodique des baies dans un contexte bien ventilé. On est ici à des années-lumière du caractère oxydatif généré par le botrytis dans les moûts qui avait cours au début des années 1990 ! Bref, tout le meilleur de la tradition livrée ici à l’intérieur d’une modernité « inspirée » où l’expertise côtoie sensibilité, élégance et un style maison bien défini. La classe quoi. Très raisonnable côté prix, les vins trouvent preneurs rapidement (à surveiller donc). Quant à la table, plaisirs fastes et pluriels (osso-buco, parmigiano reggiano, risotto aux truffes etc.). Quelques mots…
Valpolicella Classico 2020 (18,85 $ – 14320523 – à venir). Pure friandise fruitée déclinée avec légèreté, frivolité, tonus et un indice si élevé de « croquabilité » que l’on s’en mordille la langue. (5) ★★ 1/2
Valpolicella Ripasso 2018 (22,10 $ – 14477977 – à venir). Une pure merveille ! À un prix si sage que l’on ne saurait ici se désister ! Robe moyenne et bouquet d’automne large, fleurs fanées et pointe épicée ascendante, le tout doublé d’une amertume (noyau de cerise) qui allonge et glorifie la finale. Un bijou. (5) ★★★ 1/2
Amarone della Valpolicella Classico 2016, (56,75 $ – 12950433). Amateur de gros gibier braisé ou de smoked meat finement tranché, voilà le candidat qui les fera jouer de rivalité réciproque pour s’asseoir à la même table. Spirituel par son bouquet insistant, aux notes d’eau-de-vie de kirsch, à la fois précis, capiteux et ensorcelant par sa profondeur, ce rouge sec, corsé, fin de texture et d’une extraordinaire vitalité déroule en bouche le tapis du rêve. (10+) © ★★★★
Amarone della Valpolicella Case Vecie 2015 (73,25 $ – 13057647). Ce vignoble d’altitude (500 mètres) livre ici une performance que seuls les grands zinfandels de Turley ou de Martinelli peuvent envisager. Mais avec, encore une fois, cette vitalité d’exception qui échappe encore à ces seigneurs californiens. Magistral de précision, souffle puissant, au nez comme en bouche, d’une confidence fruitée et épicée qui balaie les normes et agrandit l’univers des sens. Mais c’est surtout l’harmonie d’ensemble qui déjoue les pronostics, élevant ce rouge racé au niveau d’un grand cru. Rien de moins. (10+) © ★★★★★
Chartier World LAB assurera la première Chaire de recherche en gastronomie et arômes de l’histoire de l’Université de Barcelone
Le sommelier québécois François Chartier, domicilié à Barcelone depuis 2016 (auteur de vingt-sept livres, tels que Papilles et molécules et L’essentiel de Chartier — meilleurs livres de cuisine au monde en 2010 et 2016), et son Chartier World LAB Barcelona seront désormais présents à la Chaire de gastronomie et d’arômes qui sera enseignée à la prestigieuse Université de Barcelone, plus précisément au campus alimentaire de Torribera. Il s’agira de la première chaire de l’histoire de l’université à combiner les deux matières, à partir de la science aromatique des harmonies moléculaires créée en 2002 par M. Chartier. Cette chaire, qui durera quatre ans, « consistera en une formation à travers un cours donné deux fois par année sur la gastronomie, les arômes et la science aromatique des harmonies moléculaires. Il offrira également une bourse de collaboration pour l’initiation à la recherche des étudiants qui souhaitent suivre un master officiel inclus dans le programme de doctorat en alimentation et santé ».
À grappiller pendant qu’il en reste!
Domaine du Cros Lo Sang del Païs 2019, Marcillac, Sud-Ouest, France (17,85 $ – 743377). Les grandes tablées du temps des Fêtes exigeront du friand, du coulant, du vivant, du léger et du guilleret. Le tout, bien sûr, balisé avec de la personnalité. Ce cépage braucol correspond en tout point et à bon prix à l’idée que l’on se fait des festivités à venir. Servir frais sur la dinde aux atocas. (5) ★★ 1/2
Château des Estanilles Vallongue 2019, Faugères, Languedoc-Roussillon, France (18,50 $ – 10272755). Cette jolie cuvée trouve son équilibre par son assemblage, mais aussi par cette adéquation idéale cépages/terroir où les schistes affinent et dynamisent cette cuvée issue de l’agriculture agrobiologique. Il y a ici gourmandise, mais aussi ce petit quelque chose de plus sérieux qui détaille subtilement en profondeur. À ce prix, un « vin de lieu ». (5) © ★★ 1/2
Microcosmico 2019, Bodegas Frontonio, Castilla, Espagne (22,55 $ – 14083409). Cépage méditerranéen largement planté, le macabeu est surtout utilisé pour l’élaboration de mousseux dont la neutralité des arômes et la vitalité de la structure sont des atouts. Il offre dans ce blanc sec cette même vivacité, mais aussi une finesse indéniable avec ses nuances de pêche et d’amande blanchie. Honorera vos poissons blancs. (5) © ★★★
Château Patache d’Aux 2015, Médoc, Bordeaux, France (28,85 $ – 11338226). Ce cru bourgeois d’Antoine Moueix sent bon le bon bordeaux. Pas de prétentions élevées au niveau de cru classé, mais du bordeaux qui vise juste, par son encépagement, sa stature discrète, élégante, fournie sur le plan de la texture de bouche et de sa livraison harmonieuse où le caractère grillé-vanillé du logement en fût demeure parfaitement intégré. Bref, à moins de 30 $, plus qu’une initiation à ces vins du Bordelais trop souvent boudés par le consommateur comme du restaurateur. Surtout dans cet excellent millésime aujourd’hui à maturité. (5) ★★★ 1/2
Roero Arneis 2020, Vietti, Piémont, Italie (29,30 $ – 14556114). Rare cépage blanc piémontais, l’arneis exige tout de même du doigté pour en tirer toute la finesse. C’est le cas ici avec la maison Vietti, qui en saisit à la fois l’intrigue et la mécanique interne, élevant les notes florales et citronnées à des sommets de précision. Un blanc sec d’une extraordinaire vitalité, brillant de mille feux, ciselé à merveille. À découvrir sur la cuisine asiatique un rien épicée. (5) © ★★★ 1/2
Côte-Rôtie 2019, Pierre Gaillard, Rhône, France (81 $ – 12448179). Le fameux « vin de lieu ». On en saisit rapidement la pertinence, mais surtout la réalité terrain avec cette syrah aiguisée comme un pieu d’ardoise dans son enveloppe fruitée. Une vibration intimement minérale qui maintient ici le tout à l’intérieur d’une cohésion parfaite, à la fois allégée et puissante, étonnante de sapidité et de longueur. Une autre belle histoire de terroir et de passion par un vigneron qui sait en raconter l’essence. (5+) © ★★★★
Légende
(5) à boire d’ici cinq ans
(5+) se conserve plus de cinq ans
(10+) se conserve dix ans ou plus
© devrait séjourner en carafe
★ appréciation en cinq étoiles