Après le privé, le secteur public se lance dans les incitatifs au transport en commun

Pour encourager le retour au bureau de sa main-d’œuvre, la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ) propose depuis la semaine dernière de rembourser les titres de transport en commun de son personnel. La mesure, déjà en vogue dans le privé, fait encore difficilement son chemin au sein des autres sociétés d’État.
La nouvelle n’a pas fait grand bruit, mais elle pourrait contribuer à regarnir les coffres des sociétés de transport laissées exsangues par deux années de pandémie.
Environ 650 travailleurs et travailleuses de la SAAQ pourront se prévaloir de cette offre qui coûtera, selon les estimations de la Société, environ 350 000 $.
« Les titres de transport en commun seront effectivement remboursés […] jusqu’au 31 décembre 2022 », explique par courriel le porte-parole de la SAAQ, Mario Vaillancourt. La mesure s’appliquera « seulement pour les journées de présence au bureau, soit deux jours semaine », précise-t-il.
« C’est vraiment le genre de mesures qu’il va falloir étudier et répandre davantage, croit Fanny Tremblay-Racicot, professeure à l’École nationale d’administration publique (ENAP). D’abord, pour remédier à la crise des frais d’exploitation des sociétés de transport du Québec, et ensuite, pour soulager la crise d’achalandage qu’elles connaissent. »
Percée timide au sein de l’État
Des villes ont récemment décidé d’offrir gratuitement l’accès aux transports en commun sur leur territoire. Une idée qui comporte ses avantages, notamment l’élimination de la barrière tarifaire ; par contre, elle entraîne aussi plusieurs inconvénients de taille, notamment celui de priver les sociétés de transport des revenus provenant de la vente de billets et qui représentent le tiers des budgets, en moyenne, au Québec.
Pour Mme Tremblay-Racicot, la contribution des entreprises privées et des institutions publiques constitue une solution qui comporte beaucoup d’avantages et bien peu d’inconvénients.
« Tu as un financement plus pérenne de l’exploitation des transports et tu as une influence sur le transfert modal », explique-t-elle. En effet, un incitatif comme celui mis en place par la SAAQ offre une alternative au tout-à-l’auto qui caractérise encore les habitudes de déplacement d’un nombre important de travailleurs et travailleuses. Souvent, cette main-d’œuvre va et vient en automobile vers des centres-villes déjà desservis par le transport collectif et où le coût du stationnement dépasse régulièrement 100 $ par mois.
La pratique d’encourager l’utilisation du transport en commun pour le transport du personnel s’inspire davantage du privé que du public au Québec. Le Devoir a constaté que l’exemple de la SAAQ constitue l’exception plutôt que la règle au sein de l’État québécois.
Le Conseil du trésor ne propose aucun incitatif aux 52 000 fonctionnaires réguliers répartis dans les 22 ministères et les 64 organismes qui se trouvaient sous son égide, en 2020-2021. « Nous sommes en discussion avec la SAAQ concernant leur initiative », précise toutefois la conseillère aux affaires publiques du Conseil, Marie-Ève Fillion.
Idem pour Loto-Québec et la Société des alcools du Québec, qui n’offrent aucune mesure en faveur du transport collectif à leurs 2000 employés de bureau. L’Assemblée nationale ne propose rien non plus à ses 692 travailleurs. Hydro-Québec encourage l’usage du transport collectif, sans toutefois le rembourser, selon un « souci d’équité entre les employés des villes et des régions », précise la porte-parole Caroline Des Rosiers.
En vogue au privé
L’incitatif au transport en commun a déjà fait sa place et ses preuves au privé. À Québec, par exemple, l’institution financière Industrielle Alliance a commencé il y a dix ans à rembourser 50 % des abonnements mensuels de son personnel au Réseau de transport de la Capitale. En 2018, elle a élargi son incitatif à d’autres villes en accordant une prime de 50 $ à sa main-d’œuvre de Montréal, Toronto et Vancouver qui privilégie le transport collectif pour se rendre au bureau.
La Chambre de commerce et d’industrie de Québec, de son côté, rembourse la totalité des titres de transport de sa douzaine de travailleurs et travailleuses, à condition qu'ils n'utilisent que le transport en commun pour se déplacer au bureau. Pour l'instant, une seule employée profite de la mesure.
Desjardins, un autre employeur d’importance, investit aussi pour « encourager ses employés à utiliser d’autres modes de déplacement que l’auto solo ». La coopérative financière rembourse 20 % des titres de transport en commun de son personnel situé dans les régions métropolitaines de Montréal et de Québec. Idem pour l’abonnement à BIXI et à BikeShare, à Toronto.
À Montréal, plus de 300 entreprises participent au programme OPUS & Cie, qui les encourage à acheter les titres de transport de leurs employés. Plusieurs ministères et sociétés publiques adhèrent au programme. La majorité, toutefois, provient du privé.
Une question d’équité
Ailleurs dans le monde, des mouvements en faveur du transport collectif payé en partie par les entreprises et les institutions font leur chemin. Au Royaume-Uni, le groupe de réflexion indépendant Autonomy, campé à gauche, a présenté un rapport en 2021 qui réclame que la moitié des frais de transport en commun de la main-d’œuvre britannique soit acquittée par les employeurs, que ces derniers soient privés ou publics.
Son argumentaire s’appuie sur le fait que les travailleurs consacrent des heures de plus en plus longues à se déplacer pour aller au boulot. Voilà du temps, selon Autonomy, que l’employé n’a pas la liberté d’utiliser à sa guise et qu’il consacre au bénéfice de son employeur — sans, pour autant, recevoir une rémunération.
Que l’essence dépasse 2 $ le litre ou que le titre du billet de bus augmente de 20 % en un an, le fardeau du déplacement incombe toujours aux travailleurs sans que leur rémunération augmente en proportion. Selon le groupe établi pour penser l’avenir du travail, le remboursement de la moitié des titres de transport en commun par l’employeur équilibrerait cette charge financière.
Selon Fanny Tremblay-Racicot, ce modèle se révélerait plus équitable pour la société et permettrait d’assurer la qualité des services à long terme.
« En ce moment, les déficits des sociétés de transport sont remboursés par les contribuables, donc par les taxes de monsieur et madame Tout-le-Monde, conclut la chercheuse de l’ENAP. Si les employeurs paient une contribution, ça respecte le principe de l’utilisateur-payeur et ça renfloue les sociétés de transport déficitaires. Si les sociétés de transport réussissent à avoir un plus faible déficit, la contribution de tout un chacun va être moindre. »
Ce texte a été mis à jour après publication pour ajouter des détails sur le programme en place à la Chambre de commerce et d’industrie de Québec.