Changer le monde, qubit par qubit

Les recherches susceptibles de « changer le monde », parmi les plus avancées du continent nord-américain, prennent place dans un pavillon tout neuf de l’Université de Sherbrooke (UdeS) voué aux sciences quantiques.
Ce domaine d’étude extrêmement spécialisé a déjà un impact majeur dans nos vies — les téléphones intelligents, les ordinateurs et les voitures ont des composantes issues de la recherche quantique —, mais les chercheurs de Sherbrooke travaillent à repousser les limites de ces technologies.
L’ambition des scientifiques en cette matière est infinie : le génie quantique a mené à la conception d’un ordinateur pouvant faire en 200 secondes des calculs qui nécessiteraient 10 000 ans avec les machines actuelles les plus puissantes. Les recherches portent aussi sur la transmission d’électricité sans résistance (un scénario rêvé pour Hydro-Québec), des trains à lévitation magnétique, des batteries pour véhicules électriques ayant une plus grande autonomie, des GPS plus précis, des images médicales plus nettes, des capteurs capables de détecter des sous-marins au plus profond des mers…
Les avancées dans le domaine quantique « ont déjà transformé la société, mais cet impact-là peut être encore plus grand. On passe à la vitesse supérieure », dit Alexandre Blais, directeur scientifique de l’Institut quantique (IQ) de l’Université de Sherbrooke.
Retenir les diplômés au Québec
Son équipe de 22 professionnels de recherche, 26 professeurs-chercheurs et 37 étudiants au postdoctorat vient d’emménager dans un pavillon flambant neuf de 12 millions de dollars. L’UdeS est un des trois pôles de recherche quantique au Canada avec l’Université de Colombie-Britannique et l’Université de Waterloo, en Ontario.
L’Institut quantique fait partie des deux premières « zones d’innovation » créées par Québec pour encourager la recherche de pointe et freiner l’exode des cerveaux. Car les diplômés en recherche quantique sont prisés partout dans le monde, notamment dans la Silicon Valley, où les Google, Amazon, IBM et compagnie leur déroulent le tapis rouge.
« On cherche à attirer des entreprises et à garder nos talents ici », précise Alexandre Blais.
Quatre jeunes firmes fondées par des diplômés de l’UdeS ont pris naissance dans le sillage de l’Institut quantique. Ces entrepreneurs ont accès aux équipements coûteux des laboratoires de l’université pour mener leurs recherches, explique Hugues Vincelette, responsable des communications de l’Institut quantique.
Il nous fait visiter le bâtiment lumineux, aux larges fenêtres, qui héberge un laboratoire collaboratif (un Fab-Lab), des espaces de réunion où les participants peuvent écrire sur les murs et des locaux munis d’appareils sophistiqués où s’activent des chercheurs.
De la recherche pratique
Jean-Olivier Simoneau, diplômé en physique, est resté à Sherbrooke après avoir obtenu son doctorat. Il travaille pour Nord Quantique, une des entreprises nées dans l’écosystème de l’Institut quantique. Assis devant un ordinateur, dans une salle remplie d’instruments complexes — dont un qui émet un sifflement lancinant —, il explique que lui et son équipe travaillent à produire des « qubits ».
Des quoi ?
Des qubits. Un qubit est une unité de stockage d’information quantique. Comme un processeur extrêmement puissant qui permet de faire du calcul quantique. Cette technologie requiert des températures très basses, littéralement -273,1401492 °C, tout près du zéro absolu.
Les instruments contrôlés par Jean-Olivier Simoneau permettent de refroidir de l’hélium liquide à -273 °C pour créer l’environnement propice au calcul quantique. D’autres recherches visent à permettre les phénomènes quantiques à la température ambiante, sans atteindre -273 °C.
[Les avancées dans le domaine quantique] ont déjà transformé la société, mais cet impact-là peut être encore plus grand. On passe à la vitesse supérieure.
Pour mener leurs travaux, les chercheurs ont aussi un accès privilégié aux ordinateurs quantiques d’IBM en ligne grâce à un partenariat d’un million de dollars avec le géant américain. Les entreprises de technologie investissent massivement dans la recherche quantique — c’est bien sûr dans leur intérêt de le faire —, mais les chercheurs se sentent libresde mener leurs travaux, souligne Alexandre Blais.
« Je fais la recherche qui me passionne, et ça s’adonne que certaines compagnies s’intéressent à ça, dit-il. Il y a quelques années, je faisais de la recherche purement fondamentale, mais cette recherche a mené à des applications pratiques. Il est crucial de sortir des murs de l’université et d’aller parler aux usagers potentiels. »
Les recherches menées à Sherbrooke portent sur des domaines extrêmement pointus, comme la « matière ultraquantique », l’Internet quantique et les circuits supraconducteurs, mais ces études théoriques se frayent un chemin vers l’industrie. Des travaux ont aussi commencé en collaboration avec d’autres facultés ou départements, notamment pour étudier le développement éthique et l’acceptabilité sociale des technologies quantiques.