Un plan pour se préparer au pire dans les hôpitaux

Plusieurs mesures prévues aux phases 1, 2 et 3 sont déjà en place, mais devront passer à une vitesse supérieure, a insisté le Dr Duong.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Plusieurs mesures prévues aux phases 1, 2 et 3 sont déjà en place, mais devront passer à une vitesse supérieure, a insisté le Dr Duong.

Trois des quatre phases d’un plan visant à sabrer les hospitalisations sont déjà amorcées, et le ministère de la Santé se prépare, si nécessaire, à revoir la « qualité minimale » des soins offerts à l’hôpital pour traiter plus de patients. En sus, on envisage de faire appel aux familles pour aider les travailleurs de la santé ou accélérer le retour des patients à la maison.

C’est du moins l’essence du plan de priorisation et de gestion des hospitalisations présenté mardi par un comité d’éthique, appelé en renfort par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) pour proposer des scénarios qui empêcheraient que le réseau de la santé atteigne un point de rupture.

La quatrième phase de ce plan prévoit notamment de franchir une ligne jamais franchie — si le réseau était poussé au bout de ses limites —, soit celle d’offrir des soins minimaux à un plus grand nombre de personnes, plutôt que d’offrir des soins optimaux à moins de patients, au risque de refuser ceux qui en ont le plus besoin. « Il y a des risques qui viennent avec ça, mais c’est l’ensemble des patients qui en bénéficieraient », a indiqué le Dr Hoang Duong, membre de ce comité d’éthique, intensiviste et président de l’Association des spécialistes en médecine interne du Québec. Chose certaine, cette étape n’est pas encore franchie, insistent les membres du comité, qui n’ont pas fixé de « seuil » précis pour la mise en branle de cette mesure extrême.

« On ne peut pas dire à quelle date ni pendant combien de temps » cette phase d’une durée prévue de quatre à six semaines serait enclenchée, a précisé Marie-Ève Bouthillier, présidente du comité Éthique COVID-19.

« Est-ce que ça va se réaliser ? J’espère que non », a-t-elle souligné.

La Dre Lucie Poitras, directrice générale adjointe de la Direction des services hospitaliers du MSSS, a indiqué que le ministre de la Santé, Christian Dubé, choisirait le moment opportun pour enclencher cette phase, si nécessaire, et ainsi permettre au réseau de la santé de traverser le pic des hospitalisations.

Un plan en marche

 

Plusieurs mesures prévues aux phases 1, 2 et 3 sont déjà en place, mais devront passer à une vitesse supérieure, a insisté le Dr Duong. « On arrive à un autre degré, a-t-il ajouté. Ce n’est pas le cœur léger qu’on fait ça. Diminuer l’intensité des soins, […] on n’apprend [pas ça] à l’école de médecine. Avant d’en arriver là, on peut encore assouplir des règles […] sur l’isolement des travailleurs et faciliter les transferts des patients vers d’autres ressources. » L’adhésion des soignants et des ordres professionnels à cette nouvelle approche de « réductions des méfaits » plutôt qu’à celle du « contrôle de la pandémie » en cours dans les hôpitaux fera partie des défis à relever, reconnaît le comité.

Le spectre de devoir passer des « soins A+ à des soins B pour tous » avait été évoqué plus tôt en journée par la sous-ministre Lucie Opatrny, en point de presse avec le ministre de la Santé et le nouveau directeur national de santé publique, le Dr Luc Boileau.

Des équipes de priorisation, ou « swat teams », jugeront désormais de la priorité de toutes les hospitalisations et de toutes les admissions à l’urgence de tous les hôpitaux du Québec en fonction de critères cliniques et éthiques, a indiqué la Dre Lucie Poitras, chargée de la mise en place de ce plan d’action.

Environ 600 lits pourraient être libérés par le congé accéléré de patients COVID ne nécessitant plus des « soins actifs » — qui occupent jusqu’à 13 % des lits — et leur transfert vers des sites autres, affirme-t-elle. Notamment en CHSLD, en résidence pour aînés, ou chez eux, avec des soins à domicile. « On va même solliciter les familles pour accélérer le retour des malades à la maison », a-t-elle dit.

Des patients seront transférés d’établissement au besoin, voire de région, en cas de débordement. « On le fera, mais d’abord au sein de la région », a affirmé la Dre Poitras.

Les mesures prévoient également un retour plus rapide de travailleurs infectés au chevet des patients, ce qui signifierait d’apprendre « à vivre avec le virus », et la fin des zones strictement COVID dans les hôpitaux, affirme la Dre Poitras. Elle précise que cela n’irait pas jusqu’à placer dans la même chambre des patients vaccinés et non vaccinés, ou COVID et non-COVID. Les patients immunodéprimés seraient pris en compte, et les secteurs de la cancérologie, placés dans des « zones froides ».

Inquiétudes

 

Les réactions à ce plan n’ont pas tardé, autant les réactions positives que négatives. « Si on se rend là, c’est qu’on a échoué lamentablement », déplore le Dr André Veillette, chercheur en cancérologie à l’Institut de recherches cliniques de Montréal, qui craint que les hôpitaux ne soient plus sécuritaires pour les patients cancéreux. « On doit réduire au minimum les risques qu’un travailleur leur donne la COVID. Pourquoi ne pas attendre quelques semaines pour rouvrir les écoles, plutôt que d’en arriver là ? »

La Fédération des médecins spécialistes du Québec, consultée sur ce plan, s’y montre favorable pour atténuer le plus possible les répercussions du délestage actuel sur les patients atteints d’autres maladies graves. La Coalition Priorité Cancer craint toutefois qu’un plan de priorisation nuise aux personnes atteintes de cancer, si l’on en venait à mettre dans la balance l’espoir de survie dans la prestation de soins. « Ça nous inquiète. Ces patients ont déjà peur d’aller à l’hôpital », affirme sa directrice générale, Eva Villalba, qui s’attend à une surmortalité, comme celle observée lors de la première vague. En 2020, dit-elle, environ 4400 cas de cancer auraient été sous-diagnostiqués au Québec en raison du délestage.

Le Dr Martin Champagne, président de l’Association des médecins hématologues et oncologues du Québec, se dit quant à lui préoccupé, puisque les patients cancéreux en général risquent davantage « de développer des complications ou de mourir de la COVID-19 ». Certains patients atteints de cancer sont immunosupprimés et sont « moins bien protégés que la population », même s’ils reçoivent une quatrième dose de vaccin. « Ce plan comporte […] des risques. Le bénéfice global de pouvoir traiter des patients, de pouvoir leur donner accès aux soins, outrepasse-t-il ces risques-là ? »

La Dre Marie-Pascale Pomey, de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, juge quant à elle insoutenable le maintien des mesures draconiennes de prévention de la COVID dans les hôpitaux. « On sait que les gens sont moins malades avec Omicron. On peut protéger les gens immunodéprimés avec des soins à domicile », souligne-t-elle.

La Fondation québécoise du cancer appuie aussi le plan gouvernemental, malgré les risques d’une circulation accrue du virus dans les hôpitaux. « On est beaucoup plus inquiet du statu quo, dit son directeur général, Marco Decelles. Il faut arrêter que la solution ultime soit le délestage et que les populations vulnérables soient toujours celles qui sont pénalisées. »

Avec Marie-Eve Cousineau

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