Un patient sur deux de trop sur les listes d’attente en santé?

Les requêtes de 50 à 60 % des patients inscrits sur les listes d’attente depuis plus de 12 mois pour consulter un médecin spécialiste, subir un examen ou une chirurgie ne sont plus valides, démontre un exercice d’épuration commandé par le ministère de la Santé dans trois régions du Québec. Près de 6000 patients ont été retirés des listes d’attente dans seulement deux spécialités médicales au terme de cette opération, qui soulève des questions sur l’ampleur réelle de l’engorgement dans le réseau.

Au moment où le gouvernement Legault fait de la réduction des listes d’attente une de ses priorités, cet exercice de gestion fait grand bruit dans les régions de Laval, de Lanaudière et des Laurentides, où cette opération a été menée entre avril et août 2021.

Des milliers de lettres ont été envoyées aux médecins de famille pour vérifier le dossier de chacun de leurs patients inscrits sur les listes d’attente depuis plus de 12 mois, afin de vérifier si leur condition nécessitait toujours les soins, examens ou chirurgies réclamés. Les patients visés étaient ceux dont l’attente était jugée hors délai, mais dont la priorité était considérée comme moins urgente.

« L’exercice ne visait pas à remettre en question le diagnostic médical, mais simplement à vérifier si le service avait été obtenu ou non par le patient, et s’il était toujours nécessaire. On a constaté que, pour un patient sur deux, la requête n’était plus valide. Certains patients ignoraient même qu’ils étaient sur une liste d’attente ! » explique le Dr Stéphane Ledoux, neurologue et coordonnateur médical au Centre de répartition des demandes de services (CRDS) pour Laval, les Laurentides et Lanaudière.

En gastro-entérologie, c’est quelque 2863 patients sur près de 4900 en attente depuis plus de 12 mois qui ont été rayés de la liste au cours des derniers mois, car leur condition ne nécessitait plus la consultation demandée.

Le même exercice mené en oto-rhino-laryngologie (soins des oreilles, du nez, de la gorge) a conclu que près de 58 % des patients inscrits sur la liste n’avaient plus besoin de consulter un spécialiste.

« Si on multiplie ça à la grandeur de la province, ça fait des dizaines de milliers de personnes en attente dont la demande n’est peut-être plus valide. On dit qu’il y a 765 000 personnes en attente de diverses consultations et chirurgies au Québec, est-ce vraiment la réalité ? Si on veut améliorer l’accès aux soins, il faut avoir un juste portrait de la situation », estime ce neurologue qui s’occupe de la gestion du CRDS des 3 L depuis 2017.

Le ministère confirme

 

Une opération similaire menée dans cinq spécialités (urologie, neurologie, gastro-entérologie, ORL et ophtalmologie) en 2016-2017 et en 2018, dans les mêmes régions, était arrivée aux mêmes conclusions, confirme le ministère de la Santé. « Le nombre de requêtes retirées des listes d’attente varie selon la spécialité, mais il se situait entre 50 % et 60 % dans les exercices faits par le CRDS des 3 L », a indiqué au Devoir la direction des communications du MSSS. Près de 3800 patients sur 6300 avaient alors pu être rayés des listes d’attente.

Selon le ministère de la Santé, ce type de révision, qui devrait « être fait de façon régulière, deux ou trois fois par année », par les établissements, notamment pour les patients « hors délai », révèle que les principaux motifs justifiant leur retrait des listes d’attente sont, d’abord, que le patient a déjà reçu le service, qu’il n’en a plus besoin, qu’il est allé au privé ou qu’il ignorait même être sur une liste d’attente.

À l’automne toutefois, cet exercice de révision des listes d’attente a été stoppé net, après qu’il eut soulevé l’ire des médecins omnipraticiens. Ces derniers ont été appelés à participer à ce processus au moment où le gouvernement Legault faisait planer la menace de leur imposer un quota de prise en charge pour réduire le nombre de patients privés de médecins de famille.

« Il manque 800 médecins de famille pour prendre en charge les patients et on nous demande de réviser toutes ces requêtes. Quelqu’un d’autre ne pourrait-il pas faire cette évaluation ? On souhaite tous que ce système fonctionne, mais balancer cette tâche administrative aux médecins, ce n’est pas le meilleur usage des ressources médicales à faire à l’heure actuelle », indique le Dr Marc-André Amyot, premier vice-président de la FMOQ et omnipraticien dans la région de Joliette.

Les problèmes d’accès aux services médicaux spécialisés sont pourtant bien réels, concède-t-il. « En dermatologie, les délais sont de deux ans dans ma région. Je dois envoyer les patients dans le privé ou dans une autre région. »

Le Dr Michel Breton, omnipraticien à Laval, a reçu la fameuse missive l’invitant à revérifier le dossier de chacun de ses patients en attente depuis plus d’un an d’une consultation auprès d’un spécialiste. « On comprend qu’à l’heure actuelle, il faut bien faire paraître les chiffres. Mais on a tous été insultés par ça, car les délais indiqués dans nos requêtes [exprimant l’ordre de priorité] ne sont jamais respectés. Là, il faut replonger dans le dossier du patient, reprendre connaissance de sa condition. C’est des heures de paperasse. Une infirmière pourrait faire ce suivi médical », dit-il.

De son côté, la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) appuie une gestion plus serrée des listes d’attente. « C’est correct de faire un tour de roue, car il y a plus de 600 000 requêtes en attente au Québec, dont 150 000 en chirurgie. Cet exercice est nécessaire pour réévaluer constamment les priorités », affirme le Dr Serge Legault, vice-président de la FMSQ.

Y a-t-il trop de requêtes faites inutilement ? La majorité des requêtes sont justifiées, croit-il, mais pas toutes. Il donne l’exemple d’une patiente en attente d’une césarienne qui figurait sur la liste de chirurgie d’un hôpital depuis… 15 mois. À l’heure actuelle, 19 000 patients sont en attente d’une chirurgie depuis plus de 12 mois. La condition des patients peut changer pour le meilleur, ou pour le pire. « Il faut le savoir, et être à jour. Mais cette vigie demande des ressources humaines. Et là, il manque de bras ! »

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