Des patients plus jeunes et de moins en moins «patients» aux soins intensifs

De nombreux jeunes non vaccinés hospitalisés dépendent du mince conduit d’oxygène qui les maintient en vie. Des patients souvent indociles, parfois rétifs aux traitements. Plus que le virus, c’est le déni que doivent maintenant combattre plusieurs soignants.

Après 18 mois de pandémie, Joanie Bolduc-Dionne, cheffe des soins critiques à la Cité-de-la-Santé de Laval, croyait avoir tout vu. Des patients emportés trop tôt, des femmes enceintes entre la vie et la mort, des gens en pleine forme, foudroyés par le virus.

Mais cette quatrième vague, qui ramène aux urgences son lot de patients trop jeunes, non vaccinés pour la plupart, se profile comme étant aussi celle des « impatients ». Des malades qui rechignent ou protestent contre leurs traitements, allant même jusqu’à défier ouvertement le personnel. Des patients « téflon », imperméables au discours médical.

« Certains ont encore l’énergie de contester, même rendus aux soins intensifs. Ils persistent à nier leur état, à penser qu’on exagère, à dire que la COVID, ce n’est qu’une invention », se désole-t-elle.

Ces dernières semaines, la méfiance envers le personnel a parfois fait place à la défiance. La cheffe des soins critiques a même vu des malades arracher leur lunette d’oxygène à haut débit et réclamer leur congé malgré leur état critique. Notamment une jeune femme enceinte, qui refusait d’être oxygénée. « Son taux d’oxygène sanguin a chuté à pic, explique Joanie. Ça nous fendait le cœur pour elle, mais aussi pour son bébé. Elle répétait que c’était “juste une petite grippe”. »

Ce climat hostile alimenté par nombre de patients non vaccinés est venu ajouter au lot de soignants déjà au bout du rouleau. Joanie Bolduc-Dionne ne compte plus le nombre d’infirmières insultées ramassées en pleurs, dans son bureau. « Parfois, [les patients] les traitent de tous les noms, dit-elle. Ils nous envoient carrément [paître] ».

Difficile ? « Très ! », relance celle sur qui repose la coordination de l’équipe depuis les tout débuts de la pandémie. Avant, les patients imploraient d’être pris en charge, maintenant plusieurs s’y opposent… jusqu’à ce que le virus les accule au pied du mur. Malgré tout, son équipe demeure soudée. Dans les corridors, rien n’y paraît. Le personnel, imperturbable, reste avenant et dévoué.

« Il y a de la frustration, mais ce n’est pas à nous de juger de ce que les gens décident », confie Marc Guérin, assistant-infirmier-chef aux soins intensifs. Il se dit soufflé par le nombre de jeunes patients « couverts de tatouages », qui ont toléré mille piqûres et pigments chimiques, mais qui ne supportent pas l’idée de recevoir un vaccin. « Il n’y a pas de logique dans tout ça. C’est dur de voir ça. Notre rôle, c’est de leur dire que la COVID, c’est du sérieux et qu’à côté, un demi-millimètre cube de vaccin, c’est rien ! »

Une menace réelle

 

Pourtant, la menace que fait peser en ce moment le variant Delta sur les jeunes de moins de 49 ans n’est pas une lubie. « C’est épeurant de voir comment ils sont jeunes depuis cette quatrième vague, explique la cheffe des soins intensifs. La maladie se présente différemment. Beaucoup de jeunes sont intubés, et parfois, on les perd d’un coup. »

À l’étage des soins intensifs, nous tentons de parler à ces jeunes « impatients » non vaccinés. Mais aujourd’hui, tous sont intubés, sauf un, âgé de 29 ans, trop fragile pour livrer ses états d’âme. « Ce ne sont pas tous des “antivax”. Pour certains, c’est plus de la négligence ou de la nonchalance », affirme Joanie Bolduc-Dionne.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Le climat hostile alimenté par nombre de patients non vaccinés est venu ajouter au lot de soignants déjà au bout du rouleau.

À deux pas, deux quarantenaires se battent pour leur vie. Cinq soignants sont fréquemment appelés en renfort pour les retourner en position ventrale pour oxygéner leurs poumons. « Ça prend une infirmière par patient, 24 heures sur 24. C’est du un pour un », explique Marc Guérin.

Selon l’assistant-infirmier-chef, les jeunes intubés, souvent affectés de fibrose aux poumons, vont demeurer essoufflés au moindre effort. L’un d’entre eux, intubé depuis 20 jours, est maintenant sous dialyse. Les pronostics sont incertains. « On tente le tout pour le tout, car ces jeunes ont plus de réserves. Mais leurs complications sont aussi fréquentes que chez les plus vieux », insiste la cheffe des soins critiques.

Trop gros pour être vrai

 

Il faudra aller au troisième étage Nord pour sonder le pouls de jeunes patients COVID non vaccinés, là où sont alités les malades encore instables, notamment sous l’aile de l’infirmière Julie Pier. Non vaccinés, une femme dans la trentaine et son mari refusent catégoriquement de nous parler. Leurs enfants ont dû être pris en charge par des proches. Un jeune de 26 ans, confus et fébrile, ne peut être interrogé, alors que l’état d’un autre, âgé de 21 ans, tout juste arrivé de l’urgence, laisse aussi à désirer. Seul un patient de 29 ans, svelte et profilé comme un athlète, amateur de mille et un sports, accepte de parler de la décision qui l’a acculé à l’urgence.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir L’équipe des soins intensifs de la Cité de la santé demeure soudée.

« Pour moi, le vaccin, c’était de la politique, pas pour sauver des vies. Selon les statistiques, j’étais pas un gars à risque. “LA COVID”, c’était trop gros pour être vrai », dit Sébastien, refusant d’être identifié par son vrai nom par souci de confidentialité. Après cinq jours sans manger ni dormir, il s’est pointé à l’urgence, sans difficultés respiratoires apparentes. Il saturait autour de 80 % d’oxygène sanguin, la normale étant de plus de 95 %. Ses poumons ressemblent maintenant à ceux « d’un gars qui a fumé 40 ans », dit-il, en reprenant son souffle. Depuis trois jours, une lunette d’oxygène lui permet de tenir le coup. « Le virus m’a enlevé tous mes moyens. […] Dès que je peux aller chercher le vaccin, je vais le faire. J’encourage tout le monde à le faire. » Un jour après notre visite, les besoins en oxygène de Sébastien avaient grimpé. Après trois jours d’hospitalisation, son état s’était détérioré.

Un lourd tribut

 

Depuis la troisième vague, la part de jeunes patients admis aux soins intensifs a triplé chez les jeunes de 20 ans à 39 ans. Chez les 40-49 ans, elle a quasi doublé par rapport à la première vague. Si le variant Delta explique une partie de cette accélération, les taux de vaccination plus faibles dans ces tranches d’âge y sont aussi pour beaucoup, contribuant à accaparer les ressources dans les hôpitaux.

« La compétition entre patients COVID et non-COVID, ça nous tiraille. On sait que la COVID grave est évitable avec un vaccin. Mais les autres malades, eux, ne prennent pas de congé », explique le Dr Joseph Dahine, intensiviste, lui aussi confronté à l’hostilité de certains patients. Harcelé sur les réseaux sociaux, il a d’ailleurs dû transmettre une menace plus sérieuse à la Sûreté du Québec. « Ces patients compétitionnent pour des ressources rares, mais on n’a pas le choix. Il n’y a pas d’ambiguïté, on doit tous les soigner », insiste-t-il.
« Quand la famille accourt au chevet de leur proche et constate leur état, là, ils vont se faire vacciner, dit-il. On trouve notre réconfort là-dedans. »
 



Une version précédente de ce texte, dans laquelle Joanie Bolduc-Dionne était nommée, par erreur, Joanie Bolduc-Drouin, a été modifiée.

 

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