Diane Francœur : «Cette pandémie doit nous amener à soigner autrement»

À peine entrée en poste, la Dre Diane Francœur voyait son tonitruant prédécesseur, le Dr Gaétan Barrette, faire le saut en politique et déterrer la hache de guerre pour déchirer les ententes salariales qui lui avaient valu sa réputation de « pit-bull » dans le réseau de la santé.
Inutile de dire qu’en 2014, la nouvelle présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), tout juste élue pour améliorer l’accès aux soins spécialisés, venait de voir son plan de match perturbé. Après deux mandats à la barre de la FMSQ, elle en garde encore aujourd’hui un goût amer.
« La bataille des salaires, c’était SA bataille à lui. Moi, j’avais d’autres projets. Mais quand le Dr Barrette a renié les ententes qu’il avait lui-même signées [comme président de la FMSQ], on sortait d’années de confrontation. On est retombés là-dedans. C’était un non-sens », dit-elle, à quelques jours de quitter ses fonctions de présidente.
Le ministre querelleur, qui a fait volte-face dès son nouvel habit de ministre libéral enfilé, a ramené à l’avant-plan une triste page que la présidente de la FMSQ croyait tournée, pour de bon. Ses premières heures furent plutôt investies à réparer les pots cassés du « docteur bashing » instauré sous l’ère Barrette. « C’est lui qui a mis la table au dénigrement des médecins et qui l’a entretenu pendant des années dans les médias », déplore-t-elle.
Ce « tourbillon médiatique » le « servait politiquement », estime la Dre Francœur. Les médecins spécialistes, qui ont pâti de ce matraquage dans l’opinion publique, ont dû remonter la côte et lancer des campagnes de sensibilisation pour regagner la confiance de la population. « Ç’a été beaucoup de temps perdu, mal investi, à se chicaner », déplore la pragmatique gynécologue, qui préfère accoucher de dossiers concrets que se lancer dans les joutes politiques.
Souvent accusée de corporatisme, la FMSQ, sous la gouverne de sa première femme présidente, est montée aux barricades pour défendre notamment l’accès à l’avortement ou décrier les conditions de travail des infirmières. Heureusement, un réel travail de collaboration s’est enclenché en octobre 2018 après la nomination de Danielle McCann comme ministre de la Santé, confie la Dre Francœur. « On a réussi à décloisonner la profession, à faire de la place aux infirmières praticiennes spécialisées. On a pris des mesures pour améliorer l’accès aux soins en région, aux imageries par résonance magnétique et aux chirurgies », affirme-t-elle.
La pandémie, elle, a scellé de nouveaux champs de collaboration entre professionnels. « Les médecins ont été à la barre pour rassurer les patients, pour aider à la sensibilisation et à vulgarisation des mesures sanitaires », avance-t-elle. Que ce soit la Dre Caroline Quach (microbiologiste-infectiologue), le Dr Karl Weiss (infectiologue), le Dr Donald Vinh (infectiologue), le Dr Quoc Dinh Nguyen (gériatre) ou le Dr Gilbert Boucher (urgentologue), une pléthore de spécialistes ont été plus souvent qu’à leur tour au front pour faire contrepoids aux discours officiels et donner l’heure juste à la population.
La pression exercée notamment par la FMSQ a permis de couper court dès la fin mars au discours surréel du trio Legault-Arruda-McCann sur la non-nécessité des masques. « Pour moi, le plus dur de cette crise, ç’a été de ne pas avoir la vérité par moments. Si on avait su qu’il manquait à ce point de masques, on aurait pu changer les façons de faire, stériliser des masques N95 pour protéger plus de professionnels. Ce bout-là, ç’a été dur à avaler », dit la Dre Francœur.
Faisant partie du « comité COVID », présidé par la sous-ministre de la Santé Lucie Opatrny, la FMSQ, tout comme d’autres ordres et associations professionnels, a été à la barre, deux fois par jour, pour répondre aux urgences soulevées par la pandémie. « On posait les questions le matin, on avait des réponses l’après-midi. Devant l’agressivité du virus, raconte la Dre Francœur, tout le monde a fait front commun. »
Des solutions innovatrices ont émergé pour éviter que les hôpitaux, accaparés par la guerre contre le virus, ne délaissent totalement les autres soins aux patients. Lors des accalmies, la FMSQ a mis tout son poids pour rappeler l’effet désastreux du délestage sur les patients nécessitant des soins urgents. « On a bousculé certaines façons de faire, implanté en quelques mois la télémédecine », rappelle-t-elle.
Si la présidente de la FMSQ accorde une très bonne note au gouvernement Legault pour les efforts surhumains déployés pour gérer la crise sanitaire, elle lui attribue par contre juste la note de passage pour ce qui est des résultats. Elle espère qu’on profitera de cette crise pour rebondir. « Je ne peux pas croire qu’on a perdu 10 000 personnes sans que ça nous amène à soigner autrement. La valeur première, ça devrait être le service au patient. Pas juste d’offrir des “lits”, mais d’abord des soins. L’hôpital du futur, ça ne doit pas être que des murs de verre et du béton, mais d’abord des gens qui rendent des services de 1001 façons, grâce à la technologie, notamment à la télémédecine. »
La Dre Francœur retournera dès le 12 avril auprès de ses patientes, au département d’obstétrique du CHU Sainte-Justine. Un « job » qu’elle n’a jamais vraiment quitté, continuant de pratiquer une journée par semaine pendant les sept ans de son mandat. Même dans le feu de l’action pandémique, entre les comités COVID et les conseils d’administration, elle a continué à enfiler des nuits de garde et consolé des mères seules, privées de leurs conjoints, qui venaient de perdre leur bébé. « Pandémie ou pas, les naissances n’ont jamais cessé. J’ai accouché plein de nouveaux petits Québécois ! »