Une réforme monstrueuse, selon la FTQ

Ce texte fait partie du cahier spécial Syndicalisme - Réseau de la santé
La FTQ n’y va pas de main morte quand il s’agit de critiquer la réforme du ministre de la Santé, Gaétan Barrette. En clair, le président de la plus grande centrale syndicale de la province, Daniel Boyer, s’exprime ainsi : « C’est monstrueux ! » Voilà qui donne le ton à une entrevue sur cette réforme qui en a fait rager plus d’un depuis sa mise en vigueur en avril 2015.
Reprenons depuis le début. En novembre 2014, la FTQ déposait un mémoire devant la Commission de la santé et des services sociaux dans le cadre des consultations sur le projet de loi 10, lequel deviendra loi le 7 février 2015 et sera en vigueur le 1er avril suivant. L’esprit et la lettre du discours de la FTQ n’ont pas changé d’un iota depuis le dépôt de ce mémoire, il y a deux ans, comme en témoigne Daniel Boyer. À titre d’exemple, il y est dit que « nous croyons que le ministre doit refaire ses devoirs, parce que ce dont le réseau a besoin n’est pas une énième réforme de structure, mais bien des décisions pertinentes pour s’attaquer aux problèmes concrets de la population ». Cette affirmation tient-elle toujours ? « Plus que jamais, monsieur ! lance M. Boyer au bout du fil. Et je vous dirais même que, deux ans plus tard, ce qu’on craignait est exactement ce qu’il se passe. On a accouché d’un monstre dans le réseau de la santé. Même qu’à l’époque, j’avais dit à la blague qu’un jour, on n’aurait qu’un seul établissement de santé avec un président-directeur général, qui serait le ministre Barrette », dit-il en référence au pouvoir que s’est octroyé le ministre dans le cadre sa propre réforme.
Déni de démocratie
Une centralisation du pouvoir qui fait dire à Daniel Boyer que cette réforme examinée dans son ensemble sur le plan de la gouvernance n’est rien d’autre qu’un déni de démocratie. « C’est exactement ça. Dans une société démocratique, la démocratie ne s’exprime pas tous les quatre ans, elle s’exerce tous les jours », dit-il, déplorant au passage que les décisions prises sur le plan de la santé se prennent par une équipe restreinte dans le bureau du ministre de la Santé. « Ils font ça en pensant détenir la vérité. En fait, ils ne regardent qu’une seule colonne, soit celle des dépenses, mais sans se préoccuper des services dont la population est en droit de recevoir. »
Et qui dit centralisation du pouvoir dit hypercentralisation des services, rappelle M. Boyer, dénonçant la trop faible consultation des gens de terrain et autres cadres pour mettre en place cette réforme qui n’était pas nécessaire, selon lui. « On n’a pas fait appel aux médecins, aux infirmières, au personnel d’encadrement, aux techniciens, pas plus qu’aux gens des cuisines ou encore aux préposés aux bénéficiaires. » Une réforme d’une telle ampleur, affirme-t-il, ça prend le consentement du personnel de la santé et, au bout du compte, « cette réforme a été rejetée du revers de la main. Et franchement dit, des solutions, je n’en vois pas, parce qu’on a accouché d’un monstre ! » Et hypercentralisation des services rime avec un service de plus en plus éloigné de sa clientèle visée, juge encore le président de la FTQ. « En effet. Ceux qui avaient un CHSLD au coin de la rue, eh bien, ils n’en ont plus. Il n’est maintenant qu’une partie d’un grand CISSS qui occupe toute la région et, par conséquent, les services sont de plus en plus éloignés de la population. »
Des fusions de trop
Des réformes de la santé menant à des fusions d’établissements, il y en a eu plusieurs au cours des dernières décennies, rappelle M. Boyer. Il y a eu celles des années 2003, 2004 et 2005, par exemple, qui se sont faites du temps où Philippe Couillard était ministre de la Santé. Sauf que celle de son successeur actuel en est une de trop, selon lui, parce que les CISSS regroupent en plus les centres jeunesse, les centres de réadaptation physique et les centres de déficience intellectuelle. « C’est pire avec la réforme Barrette. Écoutez, on laisse tomber des clientèles. Bon, quand ça saigne dans les urgences, on y met de l’argent, c’est normal », dit-il, en précisant qu’en contrepartie, ce sont les programmes de prévention dans les CLSC qui en paient le prix.
Privatisation
L’autre conséquence de la réforme Barrette, c’est qu’elle favorise la privatisation de certains services, souligne à grands traits le syndicaliste. Désormais, dit-il, pour être admis dans un CHSLD, il faut démontrer qu’on a besoin d’un minimum de trois heures de soins par jour. « Trois heures par jour, c’est du stock pas mal ! Et si vous ne répondez pas à ce critère, vous devrez aller ailleurs… » Et ailleurs, c’est le privé, non ? « C’est exactement ça ! Il y a des entrepreneurs qui y voient une excellente occasion de faire des affaires avec un profit au bout. Soyons clairs, il y a des services qui sont attendus par la population et qui doivent être assurés par l’État, mais qui ne sont pas au rendez-vous ! Alors, certains se disent : “Moi, je peux faire de l’argent avec ça.” »
Sécurité d’emploi
La sécurité d’emploi fait toujours partie des préoccupations syndicales. Dans le mémoire de la FTQ, il est dit ceci : « Le concept de sécurité d’emploi est fortement mis à mal par la définition d’établissement du projet de loi 10. Faut-il y voir une tentative délibérée de retirer ce droit aux travailleurs et travailleuses du réseau, ou s’agit-il d’une incongruité causée par l’absence de réflexion sur la taille des établissements ou des territoires ? En effet, c’est notamment la distance qui définit la sécurité d’emploi, soit 50 kilomètres au-delà desquels on ne peut obliger une personne à changer d’établissement. » Sur ce plan, tout n’est pas noir, admet M. Boyer, depuis la réforme du ministre de la Santé. « On a réussi lors de la dernière négociation à aménager certaines dispositions de l’application de la sécurité d’emploi. Mais il faut aussi savoir que plusieurs personnes quittent le réseau de la santé pour différentes raisons : certains ont des bénéfices de retraite qui arrivent à maturité. Mais d’autres, pas la majorité, le quittent en raison des conditions de travail, qui sont de plus en plus difficiles parce qu’il y a de moins en moins de ressources pour dispenser les services. »
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