Plus de 20 ans après son acquittement, Michel Dumont attend encore une indemnisation

«Je ne méritais pas d’aller en prison», dit Michel Dumont. Condamné en 1991 pour viol puis acquitté en 2001, l’homme a fait trois ans de prison. Son histoire a été portée au grand écran en 2012 dans le film «L’affaire Dumont».
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir «Je ne méritais pas d’aller en prison», dit Michel Dumont. Condamné en 1991 pour viol puis acquitté en 2001, l’homme a fait trois ans de prison. Son histoire a été portée au grand écran en 2012 dans le film «L’affaire Dumont».

Plus de 20 ans après avoir été acquitté de viol, Michel Dumont, qui n’a cessé de clamer son innocence, attend toujours une indemnisation du gouvernement. Le récent rapport sur la création de la Commission sur les erreurs judiciaires recommande qu’il obtienne compensation pour les défaillances du système de justice qui l’a envoyé en prison, et offre un plan détaillé pour corriger plus facilement et plus rapidement — pour tous — les condamnations injustifiées au pays.

Le système actuel, « c’est David contre Goliath », dit Michel Dumont.

Car toutes ces années plus tard, l’homme de 62 ans attend toujours. Même si la Cour d’appel du Québec l’a acquitté en 2001. Même si le Comité des droits de l’homme de l’ONU a tranché en 2010 que le Canada a bafoué ses droits prévus dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et qu’il devrait être indemnisé.

M. Dumont a été condamné en 1991 pour un viol qu’il affirme depuis toujours ne pas avoir commis. Sa condamnation reposait sur le témoignage de la plaignante. Mais entre le procès et son appel, la femme a avisé la Couronne qu’elle avait désormais des doutes que M. Dumont soit son agresseur. Cela ne fut jamais mentionné devant la Cour d’appel. Michel Dumont a passé trois ans en prison.

Soutenu par les efforts titanesques et inlassables de son épouse, Solange Tremblay, il obtient de la ministre fédérale de la Justice de l’époque, Anne McLellan, une révision de son cas, vu les doutes exprimés par la plaignante. En 2001, il est acquitté par la Cour d’appel.

Mais toujours pas d’indemnisation du gouvernement du Québec ni du Canada, malgré l’acquittement et sa poursuite en dommages : les tribunaux n’ont pas vu de faute chez les représentants de l’État. Et puis, le Canada soutient que M. Dumont n’a pas prouvé son « innocence factuelle » car il n’a pas démontré ne pas avoir commis le crime. L’ONU rejette cette interprétation : dans le Pacte, l’indemnisation n’est pas liée à la preuve de l’ innocencedite factuelle. « On est censés être innocents jusqu’à preuve du contraire », s’est indigné M. Dumont en entrevue.

Il obtiendra finalement un règlement avec la ville de Boisbriand, responsable du travail des policiers qui l’ont arrêté. Le montant est confidentiel.

Si les doutes de la plaignante avaient été soumis à la Cour d’appel, toute cette affaire aurait pu se terminer en 1994, au lieu de 2001 — et sans prison pour le Québécois, dont l’histoire a été portée au grand écran en 2012 dans L’affaire Dumont.

De l’espoir ?

Tout récemment, en novembre, les espoirs de M. Dumont ont été ravivés par le dépôt du rapport sur les consultations devant mener à la création de la Commission sur les erreurs judiciaires.

Son nom apparaît dans l’une des recommandations : « Michel Dumont et Solange Tremblay nous ont confirmé […] que le Canada ne leur avait toujours pas versé d’indemnisation ni adopté une mesure législative pour intégrer ses obligations en vertu de l’article 14 (6) du PIDCP dans son droit interne. Il s’agit d’une situation honteuse et nous demandons au ministre de la rectifier. »

Il risque de devoir encore attendre.

 

Interrogé par Le Devoir à ce sujet, le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, a signalé qu’il en était encore à l’étape d’examiner « en profondeur » les quelque 50 recommandations du rapport. De plus, il a indiqué qu’il ne pouvait pas commenter de cas spécifiques.

Quant à son ministère, il renvoie la balle à Québec : il estimeque l’indemnisation lui revient, écrit-il dans un courriel. Québec réagit de la même façon : il signale que la recommandation d’indemniser l’homme est adressée au ministre fédéral.

C’est le ministre David Lametti lui-même qui a donné le mandat à deux anciens juges de proposer la meilleure façon de créer une commission sur les erreurs judiciaires. « C’était mon idée, car c’est quelque chose qui me tient à cœur depuis des décennies. »

« Les erreurs arrivent. On ne peut pas avoir de perfection dans le système, convient le ministre. Sauf que quand des erreurs surviennent, il faut avoir un mécanisme pour les traiter de façon juste et efficace. »

Sous le système actuel, lorsqu’une personne a épuisé tous ses recours devant les tribunaux, elle peut soumettre une demande au ministre fédéral de la Justice, qui peut enquêter et renvoyer le dossier devant les tribunaux. Depuis 2002, seulement 20 cas ont été acceptés.

La façon de faire actuelle prend trop de temps, reconnaît M. Lametti. « Et on n’a que les causes célèbres qui arrivent sur le bureau du ministre. Mais il y a d’autres cas, qui ne voient jamais la lumière du jour. » Il souhaite que le processus soit plus simple et plus accessible à tous.  

Une commission indépendante

 

Le rapport suggère la création d’une commission indépendante, mandatée pour réviser les cas d’erreurs judiciaires, sans être limitée. 

Les auteurs souhaitent aussi qu’elle soit proactive, bref, qu’elle ne fasse pas que répondre aux demandes formulées par des individus qui veulent blanchir leur nom, mais qu’elle tente de contacter les victimes afin d’offrir une solution à une réalité systémique du système carcéral : les Autochtones et les minorités y sont surreprésentés.

Le ministre Lametti croit qu’une telle commission — suggérée à plus d’une reprise dans le passé — va créer une valve de sécurité pour corriger les erreurs, et que cela devrait rendre la réelle justice « plus accessible ».

Toute la question de l’indemnisation demeure « ouverte », dit-il.

Ron Dalton, le coprésident d’Innocence Canada, voit d’un bon œil les recommandations du rapport, bien qu’il croie qu’il ratisse fort large. Il reste toutefois à voir ce qui sera fait avec le rapport et ce qui va changer, « mais on ne s’est jamais rendus aussi loin », a déclaré en entrevue l’homme qui a été condamné à tort du meurtre de sa femme.

M. Dumont a été consulté par les auteurs du rapport et juge que ses recommandations sont « excellentes » pour l’avenir.

« Je ne méritais pas d’aller en prison. Ça a apporté plein de choses négatives dans ma vie. » Il rappelle avoir été privé de ses enfants ces années-là et avoir perdu des amis. En prison, il a été « malmené », dit-il avec pudeur : son corps en porte encore les marques. « Je n’avais pas de belles accusations », explique-t-il.

Les changements recommandés vont bénéficier à tous ceux dont les droits ont été bafoués par le système judiciaire et qui veulent réparation, sans devoir se battre pendant des années contre le système.

Michel Dumont garde espoir d’être indemnisé, un résultat qui serait pour lui une reconnaissance tangible du tort qu’on lui a fait.

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