Quatre, cinq ou six ans pour faire son secondaire

Photo: Darwin Doleyres Au fil des ans, des artistes ont laissé leur trace sur les murs de Montréal dans le cadre de Mural. Pour le 10e anniversaire du festival, «Le Devoir» présente une édition tapissée d’art urbain. Sur cette photo, la murale de l’artiste Aydin Matlabi & Miss Me.

Le secondaire en quatre ans pour les élèves les plus forts, le secondaire en six ans pour ceux qui ont besoin de plus de temps : des parcours atypiques, conçus sur mesure pour les besoins des jeunes, font leur apparition dans le réseau scolaire québécois. Trois écoles privées offrent ce type de programme qui réinvente le concept de mixité scolaire.

Le Collège de Champigny, à Québec, prévoit d’offrir dès la prochaine rentrée, en septembre, un parcours secondaire accéléré pour les élèves les plus doués. Une vingtaine de jeunes feront leur secondaire en quatre ans au lieu de cinq ans. Il s’agit d’une des premières écoles au Québec, sinon la seule, à offrir ce genre de programme accéléré.

« On a un devoir de s’intéresser à ces élèves qui ont plus à donner, sinon leur douance n’est pas nécessairement un vecteur de réussite. La douance peut mener à de la souffrance », soutient Luc Baillargeon, directeur de l’innovation et du développement pédagogique de l’établissement.

« Les élèves doués ont parfois l’impression de conduire une voiture sport prise dans un bouchon. Dans une classe ordinaire, le prof peut répéter 10 fois les consignes, mais les élèves doués ont compris avant même que tu finisses ta phrase », ajoute-t-il.

Les participants feront leurs trois premières années de secondaire en deux ans. Ils rejoindront la cohorte régulière pour les quatrième et cinquième années. Ce projet particulier n’est ni en arts-études ni en sports-études, mais en « études-études », illustre Luc Baillargeon.

Ces élèves à « haut potentiel intellectuel » ont été choisis en fonction de leurs résultats scolaires en sixième année du primaire, mais ils sont plus que simplement doués : l’école tient aussi compte de leur créativité, de leur engagement et de leurs aptitudes sociales, explique Jean Garneau, directeur du Collège de Champigny.

Secondaire en six ans

Cette école privée offre aussi un parcours secondaire en six ans. Les jeunes de ce programme font leurs deux premières années en trois ans. Samuel Cusin fait partie de la première cohorte de ces diplômés en six ans. Il sort enchanté de son parcours.

« J’ai eu beaucoup de difficultés en français et en maths durant tout mon primaire. Mes parents étaient inquiets. Ils m’ont proposé de faire le secondaire en six ans. J’ai embarqué les yeux fermés et finalement, j’ai vraiment aimé ça », raconte le jeune homme de 19 ans.

Il a été élu cette année coprésident de son école. Même s’ils empruntent une voie qui diffère de la norme, ces jeunes sont respectés et ne se font pas montrer du doigt par les autres élèves, souligne le directeur.

Ce type de programmes qui séparent les élèves considérés comme « forts » ou « faibles » remet en question la notion de mixité scolaire, souligne François Neveu, docteur en psychologie qui s’est spécialisé en douance. Il a conseillé le Collège de Champigny sur l’implantation des parcours secondaires de quatre ans et de six ans.

Un courant de pensée important dans le milieu scolaire prône le regroupement dans une même classe d’enfants de tous les milieux : les élèves forts tireraient vers le haut leurs camarades moins doués. Le spécialiste affirme que cette croyance « n’est pas prouvée scientifiquement ».

Sans rejeter la mixité, François Neveu voit la question sous un autre angle : « Les gens apprennent mieux quand le rythme est adapté à leurs capacités. » Cela vaut autant pour les élèves doués que pour ceux ayant besoin de plus de temps pour apprendre.

Dans une classe ordinaire regroupant des élèves de tous les profils, les profs doivent enseigner en fonction des 35 % d’élèves les plus faibles, explique François Neveu. Résultat : « Les 15 % les plus forts s’ennuient », dit-il. Ce n’est pas nécessairement « dramatique », ils ne lâcheront pas l’école, mais leur motivation peut vaciller.

François Neveu reconnaît que l’accélération scolaire est un concept controversé. Les écoles qui se lancent dans cette aventure doivent éviter certains pièges. D’abord, ce n’est pas très recherché. Beaucoup de jeunes ne tiennent pas à aller plus vite et à terminer leur secondaire plus tôt. Le danger, c’est d’accepter des jeunes qui ne devraient pas être dans ces programmes accélérés.

« Ils peuvent perdre leur estime de soi. Tu as toujours été le premier de ta classe, mais tu peux te retrouver le dernier dans un parcours accéléré. Le pire joueur de la Ligue de hockey junior majeur du Québec est dans le 1 % des meilleurs joueurs, mais il se pense mauvais », explique François Neveu.

Les écoles doivent revoir régulièrement comment les jeunes se sentent dans le parcours de quatre ans et les remettre dans une classe ordinaire s’ils vivent de la détresse, ajoute-t-il.

Autre risque, souligne François Neveu : ça peut devenir difficile du point de vue social, surtout pour les garçons, de se retrouver dans une classe où les amis sont plus vieux d’une année.

Une école inclusive

 

L’expert en douance affirme que les parcours atypiques, de quatre ans ou de six ans, n’excluent pas une certaine mixité à l’intérieur de l’école. Les jeunes ont beau faire partie d’un groupe d’élèves qui leur ressemblent, ils côtoient d’autres amis sur l’heure du dîner ou dans les activités parascolaires. « Le plus dommageable est peut-être de faire des écoles élitistes, qui n’acceptent que les élèves les plus forts », dit François Neveu.

L’école secondaire Saint-Joseph, à Saint-Hyacinthe, a créé il y a 30 ans le premier programme secondaire réparti sur six années. Cet établissement privé envisage aussi de créer un profil secondaire de quatre ans pour les élèves doués. L’école se targue d’avoir une des plus grandes mixités scolaires au Québec : sur environ 1000 élèves, 410 ont un plan d’intervention pour des difficultés d’apprentissage.

« On entend souvent dire que les écoles privées n’acceptent que les élèves ayant les meilleures notes. Ce n’est pas du tout notre réalité, et c’est ce qui fait notre plus grande fierté : le respect de la différence est parmi nos valeurs fondamentales. Les groupes forts et les programmes d’aide à la réussite se côtoient sur le même palier. On espère que notre modèle pourra inspirer d’autres écoles publiques ou privées », dit Jean-François Racine, directeur de l’école Saint-Joseph.

Une autre école secondaire privée, le séminaire Saint-Joseph, situé à Trois-Rivières, offre un profil « fusion » étalé sur six ans. Ces programmes particuliers ont été mis en place dans les trois écoles sans autorisation spéciale du ministère de l’Éducation, parce qu’ils respectent le régime pédagogique, indique le ministère.

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