Comment parler des génocides à l'école?

Geneviève Audet enseigne en se basant sur le guide pédagogique «Étudier les génocides», le premier du genre au Canada destiné aux élèves du secondaire et officiellement lancé en avril dernier.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Geneviève Audet enseigne en se basant sur le guide pédagogique «Étudier les génocides», le premier du genre au Canada destiné aux élèves du secondaire et officiellement lancé en avril dernier.

Pourquoi on parle juste de l’histoire du Québec et du Canada dans nos cours ? On parle de paix mondiale, mais c’est impossible si on ne connaît pas l’histoire des autres », s’exclame Isabella, indignée, de la toute dernière rangée de la classe.

« C’est parce que ça ne nous touche pas directement », lui réplique aussitôt une autre élève. S’ensuit un échange confus, mais vibrant, auquel plusieurs élèves participent ; quelques applaudissements retentissent dans la foulée. Ce lundi matin là, dans la classe de Geneviève Audet, on aborde un sujet délicat et complexe : les génocides.

C’est en se basant sur le guide pédagogique « Étudier les génocides », le premier du genre au Canada destiné aux élèves du secondaire et officiellement lancé en avril dernier, que cette enseignante dans une école de la couronne nord de Montréal amorce une série de quatre cours sur le sujet. Pendant plus d’une heure, les questions fusent parmi ce groupe d’élèves attentifs.

C’est faux de dire qu’ils ne sont pas aptes à parler de ça, qu’ils ne sont pas intéressés. Quand on prend le temps, ce sont eux qui nous font évoluer.

En abordant le génocide bosniaque, le groupe d’une vingtaine d’élèves aura plusieurs cours pour prendre position sur la question suivante : l’ONU devrait-elle avoir un rôle à jouer dans la commémoration des génocides ? « Restez ouverts, parce que votre opinion va peut-être changer au cours des quatre prochains cours », met en garde la dynamique enseignante, accompagnée dans la classe par une conseillère pédagogique.

L’intérêt des jeunes pour le sujet est indéniable. Très vite, leurs questions bifurquent vers des questions connexes, comme le racisme ou les tueries de masse. « Est-ce que l’attentat de Polytechnique peut être considéré comme un génocide ? » s’interroge une élève, tandis qu’une autre demande si un génocide est forcément créé à partir du racisme, ou alors s’il existe des génocides d’animaux.

Patiente, pédagogue, Mme Audet répond aux questions des élèves avec délicatesse, tout en avouant ne pas détenir toutes les réponses. Lorsque Isabella, en sortant de la petite salle de classe où s’alignent les rangées de trois pupitres, lui demande « si le racisme anti-Blancs n’existe pas, est-ce que ça veut dire qu’un génocide contre les Blancs ne pourra jamais exister ? », Mme Audet s’avoue embêtée.

« Comme professeure, il faut que tu te mettes des limites, sinon ça peut déraper », confie-t-elle dans la classe vide une fois que les élèves sont partis dîner. Mais bien que le sujet soit choquant, les élèves l’ont abordé aujourd’hui avec curiosité et ouverture d’esprit, à la grande satisfaction de l’enseignante. « C’est faux de dire qu’ils ne sont pas aptes à parler de ça, qu’ils ne sont pas intéressés, croit-elle. Quand on prend le temps, ce sont eux qui nous font évoluer. »

Comme professeure, il faut que tu te mettes des limites, sinon ça peut déraper 

 

Geneviève Audet

 

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L’idée de ces cours a commencé par une journée d’hiver, lorsque Geneviève Audet a vu, sur un groupe Facebook destiné aux enseignants d’univers social, une annonce concernant une formation à Montréal sur l’enseignement des génocides. Les places étant limitées, elle s’est aussitôt inscrite. « Cette formation m’a non seulement touchée, mais elle m’a appris des choses », confie-t-elle devant son groupe.

Elle a ensuite entrepris, à l’aide d’une conseillère pédagogique affiliée au Centre de services scolaire, d’adapter le guide pour le cours de monde contemporain. Alors que le guide complet présente neuf génocides survenus au vingtième siècle (dont celui des Premiers Peuples au Canada), elle a choisi d’enseigner celui des musulmans en Bosnie. « Mon oncle était Casque bleu et est allé en Bosnie », mentionne-t-elle.

Un projet de longue date

 

Si ce guide pédagogique a pu voir le jour, c’est d’abord en raison du combat mené par la présidente et fondatrice de la Fondation pour l’étude des génocides et fille de survivants de l’Holocauste, Heidi Berger. « Quand je donnais des formations sur l’Holocauste dans les écoles, je remarquais la réaction émotionnelle des élèves face au génocide et leur manque choquant d’informations sur le sujet », explique-t-elle en entrevue.

C’est ce qui l’a motivée à créer la fondation en 2014, puis le guide pédagogique destiné aux élèves du secondaire après « des années de discussion » avec le ministère de l’Éducation. Officiellement lancé au mois d’avril, le contenu a été testé par quelques enseignants dans le cadre de projets-pilotes. Des formations à des enseignants volontaires ont été données ce printemps. « La deuxième étape dans la mission de notre fondation, c’est de rendre le guide obligatoire », explique Heidi Berger, tout en rappelant qu’il faut procéder « une étape à la fois ».

L’outil vise à outiller adéquatement les enseignants, notamment ceux qui donnent les cours de monde contemporain et d’éthique et culture religieuse, ou qui sont désireux d’aborder ce sujet dans leur classe. « Si un élève demande à son professeur ce qui se passe en Ukraine, là avec le guide, on pense que les professeurs vont être plus informés et à l’aise de discuter d’un génocide », croit-elle.

Le contenu a été élaboré par les professeures Sivane Hirsch et Sabrina Moisan, respectivement professeure au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières et professeure au Département de pédagogie à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke.

« Notre réflexion, c’est que si on offre des contenus de qualité qui répondent aux besoins des enseignants et qui ne mettent pas de côté les aspects sensibles de ces enjeux […], ça va encourager les enseignants à aller de l’avant », estime Mme Hirsch.

Le duo de chercheuses veut à présent réfléchir sur des moyens de parler du racisme à l’école. Pour faire entrer dans les salles de classe l’analyse de ces sujets brûlants d’actualité, mais qui ne figurent pas forcément au programme scolaire officiel.

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