Une présentation sur le mot en n sème l’émoi dans une école anglophone

Diffusée virtuellement dans plusieurs écoles de la commission scolaire Lester B. Pearson, la présentation sur les origines et les implications de l’utilisation du mot en n a suscité un profond malaise chez certains enseignants de l’école St. Thomas, à Pointe-Claire.
Photo: St. Thomas High School / Facebook Diffusée virtuellement dans plusieurs écoles de la commission scolaire Lester B. Pearson, la présentation sur les origines et les implications de l’utilisation du mot en n a suscité un profond malaise chez certains enseignants de l’école St. Thomas, à Pointe-Claire.

Le débat entourant l’utilisation du mot en n provoque de vives tensions au sein d’une école secondaire anglophone de l’ouest de l’île de Montréal. Depuis quelque temps, le climat était à ce point difficile à l’école St. Thomas qu’une simple conférence donnée dans le cadre de la Semaine d’actions contre le racisme a mené à un incident qui a semé l’émoi chez les enseignants et les élèves.

Diffusée virtuellement dans plusieurs écoles de la commission scolaire Lester B. Pearson, la présentation sur les origines et les implications de l’utilisation du mot en n a suscité un profond malaise chez certains enseignants de l’école St. Thomas, à Pointe-Claire. Selon ce qu’a appris Le Devoir, son contenu a été jugé déplacé par certains parce qu’il aurait rassemblé sans contexte les liens de Pierre Vallières, l’auteur de Nègres Blancs d’Amérique, avec le Front de libération du Québec, le refus du gouvernement Legault de reconnaître le racisme systémique ainsi que des exemples de controverses comme celle du blackface au théâtre du Rideau vert.

Pour Marc Boucher, enseignant de français depuis 30 ans, dont au moins 20 ans à St. Thomas, ç’a été la goutte qui a fait déborder le vase. « C’était de la manipulation odieuse et insidieuse, qui stigmatise les Québécois francophones. »

Malaise et coup d’éclat

Jeudi matin, à la suite d’une première diffusion de la présentation la veille, M. Boucher a fait part de son malaise à la directrice de l’école, en demandant que la mention à Pierre Vallières et son œuvre soit enlevée. Voyant que rien n’avait été changé lors de la seconde présentation jeudi après-midi, il s’est permis d’interrompre le Zoom pour haranguer le comédien qui la donnait. « J’ai fait un coup d’éclat », a soutenu l’enseignant, en admettant n’y être pas allé de main morte. « J’ai pu parler fort. »

Il regrette d’avoir prononcé une insulte après avoir fermé son ordinateur portable, croyant son micro éteint et il compte s’en excuser. Mais sur le fond, M. Boucher est toujours en colère. « Parler hors contexte du FLQ et mentionner que c’est une organisation terroriste qui a tué une personne… Pendant 30 secondes, tu essaies de trouver le lien de la conférence qui est supposée être contre le racisme », dit-il. « La conclusion est assez facile à comprendre pour l’élève qui regarde ça et qui a 15-16 ans, c’est que les Québécois francophones sont des racistes. »

C’était de la manipulation odieuse et insidieuse, qui stigmatise les Québécois francophones

 

Akilah Newton, la directrice de l’organisme montréalais Overture with the Arts, défend sa présentation qui a été bien reçue les 16 fois où elle a été donnée… sauf une. « Ça n’a aucun sens. On a parlé de ça 45 secondes à la fin », dit-elle, en précisant avoir entendu l’intervention de M. Boucher. « Je n’ai pas compris en quoi on pouvait être offensé. On parle de faits historiques. Si quelqu’un est offensé, raison de plus pour avoir cette conversation. »

Selon elle, la référence à l’œuvre de Pierre Vallières était tout à fait appropriée puisqu’il s’agissait de parler du mot en n. « On a parlé d’un titre du livre et de son auteur et de sa connexion avec le FLQ. La présentation n’était pas sur le FLQ », dit-elle.

Après l’incident, la commission scolaire Lester B. Pearson a envoyé une lettre à toute la communauté de l’école pour condamner les propos « inappropriés » et « irrespectueux » de l’enseignant. « Il était tout à fait inapproprié qu’un échange de cette nature ait lieu lors d’une rencontre avec des étudiants. »

Climat difficile

 

M. Boucher n’est pas le seul à avoir éprouvé un malaise par rapport à la conférence, qui semble néanmoins avoir été appréciée dans son ensemble. « Le public, c’est des étudiants anglophones et les exemples choisis n’étaient pas assez variés et ciblaient trop une communauté. C’est ça qui était dérangeant », a dit un membre du personnel de l’école, qui a voulu garder l’anonymat.

Des sources qui se sont confiées au Devoir évoquent un climat de travail « toxique » à St. Thomas. Des enseignants ne se parlent plus ou évitent de se croiser dans les salles communes. Certains professeurs marchent sur des œufs par crainte d’échapper un mot jugé choquant devant leurs élèves. Plusieurs ont dit vouloir se trouver un emploi ailleurs. « Les enseignants et les élèves sont divisés » au sujet de la censure et des stratégies de lutte contre le racisme, indique une source ayant requis l’anonymat.

Je n’ai pas compris en quoi on pouvait être offensé. On parle de faits historiques. Si quelqu’un est offensé, raison de plus pour avoir cette conversation.

 

Lundi dernier, la commission scolaire Lester B. Pearson a adopté une résolution bannissant le mot en n de tous ses établissements. Dans une lettre qui circule au sein de la communauté de l’école, un enseignant de St. Thomas a dénoncé le ton et les moyens découlant des directives envoyées aux enseignants pour éliminer le mot en n. Denver Thomas se dit particulièrement préoccupé par la directive « invitant les enseignants non noirs à éviter de discuter ou d’utiliser du matériel pouvant contenir le mot en n » et le précédent créé par le bannissement de certains livres.

Déjà, dès l’automne dernier, la censure du mot en n dans le livre de Pierre Vallières avait provoqué des divisions parmi les enseignants de la commission scolaire Lester B. Pearson. Des professeurs avaient refusé de retirer de leur classe le livre honni, que des voix critiques associaient à un « terroriste » du FLQ. À l’école St. Thomas, des enseignants avaient dû remettre les livres et le matériel qu’ils utilisaient pour que soit biffé le mot en n.

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