Des examens universitaires sous télésurveillance

En cette ère de télétravail et de téléenseignement en raison de la pandémie de coronavirus, la télésurveillance des examens reste peu fréquente au Québec.
Photo: Sam Wasson Getty Images Agence France-Presse En cette ère de télétravail et de téléenseignement en raison de la pandémie de coronavirus, la télésurveillance des examens reste peu fréquente au Québec.

Des caméras qui scrutent les moindres gestes des étudiants, y compris les mouvements des yeux. Un logiciel qui suit en direct l’activité dans l’ordinateur de chaque étudiant. Le recours à la télésurveillance des examens à distance soulève la controverse à Polytechnique Montréal, une des premières universités québécoises à imposer l’usage d’une technologie visant à prévenir la tricherie.

Le logiciel ProctorExam oblige les étudiants à brancher deux caméras — celle qui est intégrée à l’ordinateur et une autre placée à l’arrière de la pièce — durant les examens en ligne. Avant de commencer l’épreuve, les participants doivent filmer la pièce où ils se trouvent, y compris le plafond et le dessous de leur table de travail. Les examens sont enregistrés et stockés sur un serveur pendant un an.

En raison de la pandémie, les étudiants doivent consentir à « l’usage de logiciels de surveillance d’examen à distance (notamment un enregistrement audio et vidéo de l’étudiante ou de l’étudiant, de son environnement et de son écran) », indique une directive de Polytechnique Montréal pour la session d’automne 2020.

Ceux qui refuseront d’y consentir « devront abandonner le cours visé par la surveillance d’examen, avec ou sans frais selon la date d’abandon (avant ou après le 14 septembre 2020) », précise le message.

Cette consigne vaut pour les étudiants aux programmes de certificats pour lesquels les logiciels de télésurveillance sont déjà utilisés ; pour environ 400 étudiants internationaux qui ne peuvent pas être au Canada lors de la période d’examens finaux de la session d’automne 2020 en raison de la COVID-19 ; et pour tous les examens finaux « qui étaient prévus initialement en présentiel, si ceux-ci n’étaient plus autorisés en raison de directives gouvernementales ».

Le logiciel de surveillance ne sera utilisé que pour les examens finaux à distance pour lesquels aucune documentation n’est permise, précise Annie Touchette, porte-parole de Polytechnique Montréal. Les examens à livre ouvert se font avec la caméra activée et sans autre technologie de surveillance, souligne-t-elle.

« On est conscients que ce n’est pas l’idéal [de recourir au logiciel de télésurveillance], mais c’est pour quand il n’y a pas d’autres possibilités », dit la porte-parole de Polytechnique.

Clarifications demandées

 

La ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, est préoccupée par les effets de la technologie sur la pédagogie dans les cégeps et les universités. Elle compte demander à son ministère de lui faire un « état de situation » au sujet du recours aux logiciels de télésurveillance, indique Alexandre Lahaie, porte-parole de la ministre.

Les universités ont l’autonomie pour gérer ces questions, mais la ministre veut connaître les enjeux légaux et pédagogiques de la place grandissante des technologies, notamment de surveillance, dans l’enseignement en temps de pandémie.

Mme McCann a aussi réclamé des clarifications au sujet du droit entourant l’utilisation des caméras des étudiants durant les cours et les examens à distance. Le Devoir a révélé samedi que les cégeps ont des politiques à géométrie variable à ce sujet : certains permettent à leurs enseignants d’obliger leurs étudiants à activer leur caméra, notamment durant les examens à distance, tandis que d’autres considèrent que les étudiants peuvent refuser d’ouvrir leur caméra.

Jade Marcil, présidente de l’Union étudiante du Québec (UEQ), estime que des mises en garde s’imposent au sujet de la télésurveillance des examens. « C’est un gros problème pour nous. On est préoccupés par le recours à ces technologies et on l’a signalé au Ministère », dit-elle.

Les étudiants qui ont des enfants ou des colocataires risquent d’être pénalisés par ce type de logiciel. Les étudiants ne peuvent parler durant les examens sous télésurveillance. Personne ne peut non plus entrer dans la pièce où se trouve l’étudiant, sinon l’examen risque d’être interrompu, sans possibilité de le reprendre, souligne Jade Marcil. Il est aussi interdit de se lever pour aller aux toilettes.

Un simple problème de branchement à Internet, comme il en arrive souvent en cette ère de télétravail et de téléenseignement, peut aussi être considéré comme une tentative de tricherie par le logiciel. Une connexion Internet d’au moins 10 Mb/s est aussi recommandée, ce qui peut pénaliser les étudiants n’ayant pas accès à un service aussi performant. « L’utilisation de ces logiciels augmente énormément le stress et l’angoisse des étudiants », dit Jade Marcil.

Solutions de rechange

 

L’entreprise ProctorExam indique que son logiciel de télésurveillance est utilisé par des universités européennes, notamment en Belgique, aux Pays-Bas et en France (à la Sorbonne). La télésurveillance des examens reste peu fréquente au Québec. Une pétition en ligne a été lancée au printemps dernier par des étudiants de l’Université Concordia, qui s’opposent au recours à cette technologie. Une controverse a éclaté pour les mêmes raisons à l’Université d’Ottawa.

Un groupe de travail de l’Université de Sherbrooke (UdeS), chargé de réfléchir à l’évaluation en temps de pandémie, a exclu de recourir aux technologies de surveillance des examens à distance. « Ce sont des logiciels très coûteux qui soulèvent toutes sortes d’enjeux, notamment liés au droit à la vie privée », explique Christine Hudon, vice-rectrice aux études de l’UdeS.

L’Université a décidé de revoir ses manières d’évaluer les étudiants dans le contexte d’incertitude que l’onconnaît. Elle a annoncé que le plus grand nombre possible d’examens aura lieu en classe, sur le campus, même pour des cours offerts en ligne. « Même en zone rouge, ça demeure possible de faire des examens en présence, avec la distanciation et toutes les mesures sanitaires requises », dit Christine Hudon.

Certains cours n’auront pas d’examens écrits, ajoute-t-elle. Un guide destiné aux professeurs de l’UdeS suggère des solutions de rechange adaptées à l’enseignement à distance : évaluations à l’aide d’examens oraux, de présentations orales, ou encore de travaux écrits comme les rapports de recherche, les rapports de stage,  les études de cas, ou même par des présentations graphiques, comme des cartes conceptuelles ou des tableaux.

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