L’accès aux garderies pour les demandeurs d’asile devant les tribunaux

Les demandeurs d’asile tentent le tout pour le tout afin de retrouver l’accès aux garderies subventionnées, qu’ils ont perdu il y a exactement quatre ans. Dans un procès inédit qui se tiendra jeudi et vendredi, des avocats en droit constitutionnel et de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse contestent devant la Cour supérieure l’interprétation, erronée et discriminatoire, selon eux, que fait le gouvernement d’un règlement sur les services de garde.
Pour les demandeurs d’asile, tout a basculé en avril 2018. Jusque-là, les critères de l’article 3 du Règlement sur la contribution réduite donnaient accès aux garderies subventionnées à une personne titulaire d’un « permis de travail et [qui] séjourne au Québec principalement afin d’y travailler ». C’est une réinterprétation de ce même article par Luc Fortin, le ministre libéral de la Famille à l’époque, qui a exclu les demandeurs d’asile de cette définition. Du jour au lendemain, on n’a plus considéré qu’ils étaient ici « principalement » pour travailler.
Vladymir, qui préfère taire son nom de famille par crainte de représailles, a subi de plein fouet les contrecoups de cette volte-face. Arrivé comme demandeur d’asile au début de 2017, cet Haïtien d’origine a pu envoyer sa fille dans une garderie à 8,50 $ par jour sans problème. Mais lorsque son fils né ici a été prêt à fréquenter un service de garde subventionné, au printemps 2018, c’était devenu impossible. « On nous a dit qu’il n’était pas admissible. Notre fille, qui est née à l’étranger, y avait accès, mais pas mon fils, qui est Canadien. C’était complètement absurde », dit-il.
Vladymir et sa conjointe ayant tous deux besoin de travailler, ils ont été contraints d’envoyer leur fils dans une garderie privée à fort prix. « Ça a été le moment le plus difficile de notre vie », laisse tomber le père de famille. « Je travaillais dans un Tim Hortons au salaire minimum, et on payait 40 $ par jour de garderie. Quand j’y repense, on a été des héros d’avoir pu faire ça », ajoute-t-il, l’air de ne pas y croire encore.
Lourd de conséquences
Directrice des initiatives sociales pour le Collectif Bienvenue, Maryse Poisson dit avoir dû annoncer la mauvaise nouvelle à des centaines de demandeurs d’asile dans les quatre dernières années. « Concrètement, ce sont des parents, dont beaucoup de mères célibataires, qui sont pris à la maison sans pouvoir travailler et qui vont recevoir l’aide sociale », soutient-elle. « Certains vont finir par mettre leur enfant devant la télé chez la voisine à 20 $ par jour. »
En plus de compliquer l’accès à l’emploi et à la francisation, cette mise à l’écart a des effets délétères pour les enfants, croit la travailleuse sociale, qui fait partie du Comité accès garderie, créé en 2018 pour porter la cause. « On voit beaucoup d’enfants qui accusent un retard d’apprentissage en français et qui ont du mal à s’intégrer. J’ai vu des enfants avec des troubles de l’autisme être isolés à la maison avec leurs parents alors qu’ils ont besoin de services. »
Arrivée d’Haïti au début de l’année 2021, Flavie, qui tait son vrai prénom pour ne pas nuire à sa demande d’asile, est une préposée aux bénéficiaires formée ici qui ne peut pas travailler, malgré plusieurs offres d’emploi. Cette mère de famille monoparentale a une fille d’âge scolaire, mais surtout un bébé de deux ans, qu’elle ne peut pas envoyer à la garderie, faute d’argent. « Je suis coincée », dit-elle, découragée. Les emplois près de chez elle ne dépassent pas les 17-18 $ l’heure. « Comment voulez-vous que je paie une garderie à 800 $ par mois ? C’est presque le coût de mon loyer ! »
Flavie aimerait que son fils fréquente une garderie pour qu’il puisse se faire des amis, jouer dans la neige, s’intégrer à son milieu de vie. « On ne peut pas passer toute une vie enfermé dans une maison. J’ai besoin de socialiser, et l’enfant a besoin de s’épanouir », dit-elle, la gorge nouée. « En Haïti, je vivais bien, j’avais un travail et une voiture. Mais ici, je me retrouve seule avec deux enfants, sans soutien. Je ne demande pourtant pas des choses futiles. »
Une longue bataille
Le Comité accès garderie ne comprend pas la volte-face faite par le gouvernement au printemps 2018. « On pense que la réinterprétation est liée à l’arrivée massive de demandeurs d’asile à cette époque-là », soutient Maryse Poisson.
Depuis, le Comité n’a jamais cessé de livrer bataille. Il a lancé une pétition ayant récolté 13 000 signatures, a publié des lettres ouvertes avec l’appui de centaines de professionnels de la santé, s’est adjoint des organismes comme Amnistie internationale et a multiplié les plaidoyers auprès des trois ordres de gouvernement.
Il a même rencontré le ministre caquiste de la Famille, Mathieu Lacombe, en février 2019. « Il s’est dit sensible à la cause, mais il a renvoyé la balle au fédéral en disant qu’il manquait de financement, et rien n’a été fait par la suite », déplore Érika Massoud, coordonnatrice du dossier à la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes.
Il y a un mois, lors de l’étude détaillée du projet de loi no 1 sur les services de garde éducatifs à l’enfance, Québec solidaire a présenté un amendement voulant que les services de garde subventionnés soient accessibles à tous les enfants, sans égard au statut migratoire de leurs parents. Tous les partis d’opposition — y compris les libéraux — l’ont appuyé, mais les députés de la Coalition avenir Québec l’ont rejeté en bloc.
Le Comité mise désormais sur la contestation devant les tribunaux. Me Sibel Ataogul, l’une des avocates chargées du dossier, tentera de faire valoir qu’une telle interprétation de l’article 3 du Règlement est impossible et que la loi à laquelle ce dernier se réfère ne permet pas la distinction entre les personnes qui ont divers statuts. « Et enfin, on dit que c’est contraire aux chartes québécoise et canadienne pour des motifs discriminatoires basés sur la citoyenneté et sur le sexe, car on sait que ce sont la plupart du temps des femmes qui ont la garde des enfants. »
Invité à expliquer sa position, le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, a indiqué qu’il ne ferait aucun commentaire puisque « le processus judiciaire est en cours ».