Quand armes à feu et réseaux sociaux se croisent

Le Forum a été organisé par le SPVM et la ville de Montréal.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Le Forum a été organisé par le SPVM et la ville de Montréal.

Les armes à feu sont de plus en plus présentes sur les réseaux sociaux, a lancé d’emblée la sergente-détective Maya Alieh lors de la journée de clôture du Forum montréalais pour la lutte contre la violence armée. Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a d’ailleurs annoncé jeudi son intention d’« investir » ces plateformes pour y faire de la prévention.

La sergente-détective responsable des cyberenquêtes au SPVM a livré ses constats jeudi matin devant un public composé de policiers, mais aussi d’intervenants du monde communautaire, de l’éducation et de la santé. L’événement était organisé par le SPVM et la Ville de Montréal.

Elle a rapporté qu’en 2018, son équipe ne voyait pas beaucoup de jeunes qui s’affichaient avec des armes à feu sur les réseaux sociaux : à peine trois dossiers du genre avaient été ouverts au sein de la force policière. À la fin mars 2022, il y en avait déjà 58 depuis le début de l’année.

Depuis 2018, elle constate une augmentation variant entre 20 % et 30 % des dossiers de cybercriminalité chaque année. Et certains cas font frissonner.

Elle a parlé de ces images d’une jeune fille qui a été mise en vente sur Snapchat, le canon d’un fusil dans la bouche. « Elle a été vendue et allait prendre l’avion », a rapporté la sergente-détective Alieh. Mais la police est arrivée juste au bon moment, avant que la jeune fille n’arrive à destination. Elle a aussi parlé de cette fillette qui venait toute juste de commencer l’école primaire et qui a tenté de s’enlever la vie après avoir été menacée de violence sur WhatsApp. « C’est la vraie vérité de la réalité sur le terrain. »

Il y a eu une augmentation de la violence armée à Montréal, a déclaré la mairesse Valérie Plante. Au cours des derniers mois, plusieurs adolescents ont été tués sur le territoire de la métropole, soit par arme à feu ou par arme blanche.

Des parcs au Web

 

Pour la violence comme pour bien d’autres choses, les réseaux sociaux ont aboli bien des frontières : les limites géographiques n’existent plus, constate Maya Alieh.

La menace est ainsi en partie sortie des parcs de la ville pour se retrouver sur le Web : la sergente-détective a montré cette image d’un jeune qui a mis en ligne sur Snap Map une photo d’une arme de poing avec une carte et les mots « Game Over ». Cette fonction de Snapchat, qui avait outré les parents il y a quelques années puisqu’elle était activée par défaut, est maintenant entièrement volontaire : les jeunes qui l’utilisent pour se faire connaître du monde criminalisé le font en connaissance de cause, dit-elle. « On y voit des gens qui mettent des photos de leurs poutines, mais on voit aussi beaucoup d’armes à feu. »

Et le phénomène ne se limite pas à un seul réseau social. Si, pour certains, Instagram est vu comme l’apanage des influenceurs et est associé aux photos de voyage ou de mode, on y trouve aussi des ventes d’armes, rapporte-t-elle.

Les jeunes n’ont pas besoin du dark Web pour s’acheter une arme de poing, a-t-elle lancé : ils sont très bien servis par des plateformes qu’ils ont déjà entre les mains et qu’ils utilisent pour bavarder avec leurs amis.

Vincent Richer, le directeur adjoint du SPVM, a exprimé le souhait d’avoir des « travailleurs sociaux des médias sociaux ». « Il y a un trou dans notre service, a-t-il convenu. On doit s’adapter à cette nouvelle réalité », et occuper cet espace, car « la violence commence sur les médias sociaux, mais finit dans la rue ».

Présent lors de cette troisième et ultime journée du forum montréalais, le ministre fédéral de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a refusé de se mouiller lorsqu’interrogé sur la possibilité que son gouvernement légifère pour forcer les réseaux sociaux à se joindre à cette lutte.

« Ce n’est pas normal que ce soit normal »

Sur les réseaux sociaux, il y a une banalisation de la violence, a expliqué Maya Alieh : un jeune a été enfermé dans une cage et forcé de se mettre à quatre pattes, a-t-elle relaté en montrant des captures d’écran. « Les jeunes qui ont vu la vidéo sont tellement désensibilisés qu’ils l’ont juste relayée au lieu de la signaler », déplore-t-elle.

C’est aussi le constat de l’un des jeunes participants au forum, Émile Tremblay. Son ami Thomas Trudel est mort sous les balles en novembre dernier. Lors de la portion du forum où les jeunes étaient consultés, beaucoup ont dit que « la violence est devenue normale, que ça fait partie de leur quotidien », a-t-il rapporté jeudi matin. « Ce n’est pas normal que ce soit normal. »

Selon lui, c’est trop facile de se procurer une arme, en se la faisant livrer ou même en l’imprimant à la maison. Et même des jeunes qui n’en ont que faire finissent par s’en procurer une, car ils ont peur, a ajouté Abdellah Azzouz, un jeune de 22 ans du quartier Saint-Michel, qui dit connaître cinq personnes qui ont été abattues.

Les deux jeunes ont indiqué que leur groupe d’âge avait besoin d’activités et de loisirs ainsi que de lieux ou de groupes d’appartenance, comme des maisons des jeunes et des équipes sportives, plutôt que de gangs de rue.

Un second forum devrait être organisé en 2023 pour vérifier si la situation s’est améliorée.

Les engagements du Forum montréalais pour la lutte contre la violence armée

La mairesse Valérie Plante a annoncé plusieurs engagements de la Ville au terme de l’événement, qui a, selon elle, jeté les bases du modèle montréalais de prévention de la violence armée.

 

Un fonds spécial de 2 millions de dollars sur deux ans sera mis sur pied pour permettre aux jeunes de créer des activités sociales, sportives et artistiques. Quelque 5 millions supplémentaires seront versés dès 2023 à des projets d’infrastructure comme la construction de terrains de basketball ou de parcours à bosses pour vélos tout-terrain. De plus, 400 000 $ serviront à créer une ligne téléphonique de soutien aux familles.

 

Les participants au forum ont aussi indiqué certaines pistes de solution, comme la présence d’intervenants de confiance auprès des jeunes et l’allocation de ressources aux parents et aux organismes communautaires qui sont là pour eux tous les jours. Le décloisonnement de l’information entre les divers organismes qui oeuvrent auprès des jeunes — DPJ, police, école — est aussi requis dans certains cas, malgré les exigences de confidentialité, estime-t-on.

 

La mairesse a réitéré la nécessité d’un meilleur contrôle des armes à feu, notamment des armes de poing, et attend des actions du gouvernement fédéral en ce sens. Elle veut continuer à investir dans le logement social et à combattre l’insécurité alimentaire, convaincue qu’améliorer les conditions de vie des jeunes contribuera à les tenir loin de la criminalité.

 

La métropole a déjà doublé son budget de prévention de la violence auprès des jeunes : il passera à 5 millions de dollars par année dès l’an prochain.



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