Le pape pourrait faire des excuses officielles aux Autochtones en sol canadien

L’Église catholique va-t-elle bientôt présenter des excuses officielles aux survivants des pensionnats pour Autochtones ? Après avoir décliné une invitation à faire un tel geste en 2018, le pape François a annoncé mercredi sa visite prochaine au Canada. Les espoirs sont donc nombreux, le Vatican ayant indiqué que ce voyage s’inscrirait dans le processus de réconciliation avec les peuples autochtones.
« Je ne peux pas vous dire quels seront ses mots [au Canada] », a dit en entrevue le président de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), Mgr Raymond Poisson, qui travaille depuis trois ans à la concrétisation de cette réconciliation. « Mais je lui fais confiance là-dessus. »
Le nouveau ministre canadien des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, n’a pas manqué de rappeler mercredi que « les Autochtones s’attendent à ce que des excuses soient présentées sur le territoire canadien par le Saint-Père lui-même ».
« Une reconnaissance pleine et entière des torts causés par les pensionnats autochtones, gérés par l’Église catholique, est un premier pas dans le processus de reconnaissance des préjudices causés et un pas vers la réconciliation, qui inclut une réparation. Et je crois que c’est la prochaine discussion naturelle à avoir », a-t-il ajouté.
Une délégation composée d’une trentaine de représentants des Premières Nations, des Métis et des Inuits se rendra au Vatican du 17 au 20 décembre pour poser les jalons de ce « pèlerinage de guérison et de réconciliation ». Cinq évêques, dont Mgr Poisson, les accompagneront.
Le pape François atterrira possiblement en sol canadien dès 2022. « Une visite papale prend habituellement six mois à organiser », indique le président de la CECC, qui a formellement invité le pape en septembre dernier.
« Nous pensons que le Saint-Père sera pour nous, avec les mots bien choisis, celui qui symboliquement et avec signification nous permettra de faire un pas de plus vers la réconciliation », a souligné Mgr Poisson, qui a ajouté que l’Église catholique souhaite agir en « leader » dans le dossier de la réconciliation avec les peuples autochtones.
Excuses tardives
Si l’Église catholique va de l’avantavec des excuses officielles prononcées par le pape François, elle sera pourtant la dernière institution impliquée dans la gestion des pensionnats pour Autochtones à faire acte de contrition. Le gouvernement canadien, l’Église anglicane, l’Église presbytérienne et l’Église unie ont tous déjà présenté des excuses officielles.
La pression n’a d’ailleurs cessé de s’accentuer ces derniers temps sur l’Église catholique, qui gérait à l’époque 70 % des pensionnats pour Autochtones. En 2015, la Commission de vérité et réconciliation du Canada avait réclamé des excuses officielles du Saint-Père,à l’image des excuses présentées en2010 par Benoît XVI aux Irlandais ayant été victimes d’abus sexuels commis par des représentants de l’Église catholique.
Nous pensons que le Saint-Père sera pour nous, avec les mots bien choisis, celui qui symboliquement et avec signification nous permettra de faire un pas de plus vers la réconciliation
Cette demande, le premier ministre Justin Trudeau l’avait lui-même portée personnellement au Vatican en 2017, à l’occasion d’une visite effectuée au pape François. L’année suivante, le président de la CECC de l’époque, Mgr Lionel Gendron, avait toutefois fait savoir que le pape « ne [pouvait] pas répondre personnellement » à cette demande.
L’été dernier, lorsque des centaines de tombes sans sépulture ont été trouvées près d’anciens pensionnats pour Autochtones, les regards se sont une nouvelle fois tournés vers l’Église catholique. Dans la foulée, les évêques catholiques du Canada ont présenté des excuses aux peuples autochtones.
« On n’a pas de structure centralisée dans l’Église catholique. Les diocèses et les congrégations sont autonomes », dit Mgr Poisson pour expliquer cesexcuses tardives. Certains évêques avaient également, de leur propre chef, exprimé leurs profonds regrets dès les années 1990, rappelle-t-il.
Pendant toutes ces années, l’Assemblée des Premières Nations (APN) n’a cessé de rappeler qu’un mea culpa formel de la part du plus haut représentant de l’Église catholique était essentiel pour aller de l’avant avec la réconciliation. Sa cheffe, RoseAnne Archibald, l’a une fois de plus répété mercredi.
« Je continue de demander que l’Église catholique soit tenue responsable pour son rôle dans l’assimilation forcée et le génocide de nos enfants, de nos familles et de nos nations, a-t-elle écrit sur Twitter. Des personnes doivent être accusées au criminel. Et des dédommagements doivent être offerts aux Premières Nations. »
Environ 150 000 enfants amérindiens, métis et inuits ont été placés de force dans des pensionnats pour Autochtones de 1883 à la fin des années 1990. En plus d’être déracinés de leur culture et arrachés à leur famille, plusieurs pensionnaires ont subi des sévices physiques et sexuels.
Je continue de demander que l’Église catholique soit tenue responsable pour son rôle dans l’assimilation forcée et le génocide de nos enfants
Victimes non autochtones
Si des excuses formelles sont bel et bien présentées au Canada par le pape François, elles ne s’étendront vraisemblablement pas à l’ensemble des victimes d’abus sexuels et physiques commis au sein de l’Église catholique.
« Lorsqu’il s’agit d’un abus sexuel commis par un prêtre en ministère, c’est un abus commis par une personne et non par une institution, nuance Mgr Poisson. [Dans le cas des pensionnats pour Autochtones], c’est l’institution qui était liée au gouvernement canadien dans cette aventure coloniale. »
Mais l’Église catholique n’a-t-elle pas camouflé les gestes des prêtres abuseurs ? « Ce sont des personnes en autorité, comme un évêque, qui auraient fermé les yeux ou auraient déplacé [les prêtres abuseurs]. Dans les [pensionnats], l’institution a signé des contrats avec l’État. Il y a une différence fondamentale », affirme le président de la CECC, qui condamne néanmoins les actes commis.
La visite du pape François représentera un temps fort pour l’Église catholique au Canada. Seul le pape Jean-Paul II a foulé le sol canadien, et ce, à trois reprises, soit en 1984, en 1987 et en 2002.
Avec Marco Bélair-Cirino et Boris Proulx