

Incursion dans une célébration du mouvement évangélique la Chapelle, basé dans un quartier branché de Montréal.
Les mouvements évangéliques gagnent en popularité au Québec et certains ciblent les millénariaux à grands coups de concerts, de musique rock, usant avec efficacité des réseaux sociaux. Incursion dans une Église pas comme les autres.
Dimanche, un peu avant 17 h. Les passants de l’avenue du Parc, située dans le quartier branché du Mile-End à Montréal, terminent leurs emplettes, entrent et sortent des nombreux petits cafés. Devant le théâtre Fairmount, deux immenses fanions font leur apparition : « la Chapelle ». Chaque semaine depuis 2013, plus de 200 jeunes millénariaux s’y entassent pour louanger Dieu, là où quelques heures plus tard se produira le groupe de musique métal Dance With the Dead.
« Bienvenue à la Chapelle ! » s’exclament des assistantes bénévoles vêtues de chandails noirs sur lesquels on peut lire « Allô. Comment ça va ? ». Le slogan de la Chapelle ? « Une église pour ceux qui n’y vont pas. » Tout autour de la scène, des stands sont dressés : la Chapelle Junior (un service de garde), une boutique où l’on vend de multiples produits et livres à l’effigie de l’Église et un point de ravitaillement. Ce soir, les bières en fût sont remplacées par du café et du thé, offerts gratuitement dans des gobelets aux couleurs de la Chapelle.
La fébrilité s’empare de la salle quand l’écran géant qui occupe toute la scène amorce un décompte de cinq minutes. Les gens prennent place. Autour de nous, les fidèles portant chaussures Adidas, skinny jeans, tuques orange, hoody et autres vestes en jean prolifèrent. À quelques exceptions près, ils ont moins de 35 ans. Pendant que des placiers armés de walkies-talkies s’affairent à installer les retardataires, les stroboscopes s’activent. Le décompte arrive soudain à zéro et un nom apparaît à l’écran : Jésus. Le spectacle peut commencer.
Sur scène, les musiciens ont pris place. Loin d’être des amateurs, ils ont des voix puissantes. Le groupe, photogénique, adopte les codes de l’industrie de la musique pop. Sur des airs à mi-chemin entre U2 et Coldplay, ils entament des chants de louange. Comme dans un karaoké, les fidèles chantent grâce aux paroles qui apparaissent en temps réel sur l’écran géant.
Véritables vers d’oreille, ces mélodies montantes deviennent de puissantes machines à faire surgir les émotions. « La musique est tellement forte que je ne m’entends pas chanter. Ça me permet de chanter plus librement. Je suis moins focalisé sur ma voix et plus concentré sur la louange », raconte Raphaël Boulerice, 20 ans. Plus que des chansons, c’est une façon « d’avoir une relation avec Dieu », confie ce fidèle.
La musique est tellement forte que je ne m’entends pas chanter. Ça me permet de chanter plus librement. Je suis moins focalisé sur ma voix et plus concentré sur la louange.
Sur la scène, un couple de jeunes pasteurs trentenaires donnant l’impression de sortir d’Occupation double fait son entrée. André-elle Mirck, qui porte publiquement le nom de son époux, le pasteur David Mirck, demande aux croyants réunis : « Est-ce qu’il y a des personnes qui sont en amour ce soir ? Pour toutes les personnes qui se “datent”, on offre des cours de préparation au mariage. » Les autres sont invités à accueillir les nouveaux en disant bonjour à au moins cinq personnes.
On profite ensuite de l’occasion pour promouvoir la vente de billets d’un spectacle de Noël qui tiendra l’affiche deux soirs dans la grande salle du théâtre Saint-Denis, d’une capacité de plus de 2000 places. Une technique marketing audacieuse et inusitée pour tenter de rejoindre un nouveau public.
Téléphones à la main, les gens n’hésitent pas à prendre des photos ou à filmer, partageant ce contenu sur les réseaux sociaux. La Chapelle répand sa foi dans les médias sociaux autant que dans les âmes, en adoptant le langage des millénariaux. Véritable Église de l’ère Instagram, la Chapelle offre des services à la fois high-tech et minimalistes, entre concert rock et discussion TED. En plus d’Instagram, les fidèles sont encouragés à utiliser Facebook, notamment pour partager les sermons, disponibles en baladodiffusion.
Peut-on incarner le « christianisme traditionnel » en misant autant sur les médias sociaux ? « Pour parler au peuple, il faut parler un langage que le peuple va comprendre à l’aide d’outils qui vont rejoindre la population. Si on peut utiliser les réseaux sociaux pour être une lumière, pourquoi pas ? Tous les moyens sont bons, tant que le respect est là », croit le fidèle Raphaël Boulerice.
Ce soir-là s’amorce la série « Rêve en couleur », une suite de sermons qui vont s’échelonner sur quelques semaines, offerts par le très charismatique pasteur David Mirck. « Avec Dieu, t’as le droit d’avoir la tête dans les nuages », lance-t-il. Pour toucher un public le plus large possible, il réinterprète des messages de la Bible, les incarnant dans des concepts plus que contemporains, comme le rêve « d’être populaire », d’être p.-d.g. ou d’avoir la paix, provoquant des rires dans le théâtre.
Dans des élans enflammés dignes des conférenciers les plus motivés, il invite les gens à trouver leurs propres rêves plutôt que de vivre ceux des autres. À retrouver les rêves enfouis trop loin, en prenant soin de rappeler que « Dieu a un rêve » pour chacun. Tout au long du sermon, des amen fusent spontanément dans la foule. « Est-ce qu’on peut faire du bruit pour Jésus ? » demande David, avant d’enchaîner le songe de Jacob tiré du Livre de la Genèse. « Il fit un rêve : une échelle était appuyée sur la terre et son sommet touchait le ciel ; des anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle. »
Tout au long de la soirée, l’accent est mis sur le visiteur qui franchit la porte de cette église pour la première fois. Il y a trois ans, cette personne, c’était Alice. « Je voulais vraiment intégrer une communauté dans laquelle je n’allais pas me perdre, dans laquelle chacun peut trouver sa place. Il y a énormément de nouveaux croyants, des gens qui sortent un peu de nulle part, qui veulent juste adhérer à une communauté, dit Alice, une expatriée française de 25 ans. Surtout la jeune génération, qui n’a pas nécessairement un héritage de la foi catholique comme nos parents. Les gens ont besoin de se retrouver entre eux, ont besoin de retrouver Dieu. Surtout dans le monde dans lequel on vit, c’est essentiel. »
Au milieu de son sermon, le pasteur est rejoint discrètement sur scène par les musiciens. Doucement, ils viennent soutenir la prédication, mais surtout participer à une mise en scène élaborée. À l’instar de Jacob, David Mirck terminera ce soir-là son sermon juché au sommet d’un escabeau. À défaut d’avoir la tête dans les nuages et de toucher le ciel, comme Jacob, il toucha le plafond du théâtre Fairmount, et quelques âmes.
Incursion dans une célébration du mouvement évangélique la Chapelle, basé dans un quartier branché de Montréal.
Le mouvement religieux affirme rejoindre 1500 fidèles chaque semaine à Montréal.
Sans revenus autres que les dons, les mouvements évangéliques comptent sur la générosité des fidèles.
Le mouvement a étendu son influence en misant sur la musique et la culture populaires.