Benoit Charette annonce à tort la mort de Lamine Touré... devant Lamine Touré

Le ministre responsable de la Lutte contre le racisme, Benoit Charette, a annoncé à tort la mort de l’artiste Lamine Touré samedi, avant d’exprimer ses sympathies — pour sa propre mort — au danseur et chorégraphe, qu’il n’avait visiblement pas reconnu.
Le principal intéressé ne s’en est pas formalisé. « Le monsieur, il n’a rien fait de mal. Il s’est trompé, point », a déclaré M. Touré au Devoir lundi. « Il s’est excusé après », a-t-il souligné.
La bévue, relayée abondamment sur les réseaux sociaux au cours de la fin de semaine, a eu lieu au cours du Gala Dynastie. Cette cérémonie vise à récompenser des personnalités issues des communautés noires qui s’illustrent dans les domaines des arts et de la culture.
Sur la scène du théâtre Maisonneuve, le ministre Charette a prononcé une allocution, une feuille de papier à la main. « En écrivant les quelques mots, je me suis rappelé qu’on a perdu de dignes représentants du milieu culturel au cours des derniers mois. On peut penser à Lamine Touré. Je me souviens de nombreuses soirées notamment au Balattou », a-t-il commencé, en nommant le club montréalais qu’a ouvert M. Touré dans les années 1980.
Quelques personnes se sont alors levées dans la foule. Parmi elles, l’artiste Touré lui-même, qui a fait un signe de la main au ministre. « C’est vrai, mes sympathies. Sincèrement, sincèrement », a poursuivi le ministre en regardant vers lui.
« Moi, je me suis levé et j’ai dit : “je suis là encore !” C’est tout. Pour moi, ce n’est rien, ça », a aussi relaté M. Touré. Constatant sa méprise, M. Charette a éclaté de rire.
Une erreur de bonne foi
Au cabinet de M. Charette, l’attachée de presse Rosalie Tremblay-Cloutier a plaidé l’erreur de bonne foi. « Le discours du ministre contenait une formule ambiguë et, en voulant sortir de son texte, il l’a mal interprétée, ce qui a mené à l’incident en question », a-t-elle avancé. « Contrairement à ce que rapportent certains, l’incident a plutôt été tourné à la blague par la plupart des participants, dont M. Touré, avec lequel le ministre s’est entretenu plus tard en soirée. Le ministre est bien sûr désolé de cet événement. »
Coupant court aux rumeurs, Mme Tremblay-Cloutier a par ailleurs assuré qu’aucun employé dans l’entourage du ministre n’avait perdu son emploi après les événements.
Lamine Touré recevait samedi le Grand Prix Dynastie, un hommage visant à souligner l’ensemble de sa carrière. M. Touré a notamment lancé le Festival international Nuits d’Afrique. Il a été nommé Chevalier de l’Ordre national du Québec en 2013 et désigné Membre de l’Ordre du Canada en 2018.
« Même moi à sa place [du ministre], je vois “hommage à la personne”, et dans ma tête, [je me dis] : il est mort ! », a lancé M. Touré pour expliquer l’erreur du ministre. Il a confirmé que les deux hommes ont discuté après les événements et a fait parvenir au Devoir une photo qu’ils ont prise ensemble. « Je ne suis pas fâché, on s’est entendus, on est d’accord, on s’est donné la main », a-t-il énuméré.
Racisme ou maladresse ?
Sur les réseaux sociaux, la bévue du ministre Charette a néanmoins attiré des commentaires et nourri des montages soulignant la « gaffe » (“epic fail”) de l’élu.
L’avocat et entrepreneur social Fabrice Vil a partagé une publication Facebook dans laquelle il rappelle d’entrée de jeu que « bien sûr, il n’y avait rien d’intentionnel là ». Reste que l’affaire symbolise, à son avis, « le peu de considération du présent gouvernement pour les communautés noires ».
M. Vil a rappelé que le gouvernement Legault et M. Charette « nie[nt] l’existence du racisme systémique ».
« M. Charette avait le devoir d’arriver particulièrement préparé pour son discours afin d’honorer respectueusement l’unique tâche qu’il avait lors de cette soirée. […] Il est bien sûr délicat de soulever l’enjeu du racisme dans de telles circonstances, parce qu’on pourrait tout imputer à la maladresse », a-t-il poursuivi.
« Mais je crois important de soulever l’enjeu, parce que les exemples du manque de considération se multiplient. Pas uniquement par des erreurs commises sur scène. Il suffit de penser à la campagne publicitaire prétendument contre les préjugés que ce gouvernement nous a servis. »

Cette campagne, qui reprenait certains préjugés concernant les membres des communautés culturelles, a suscité les critiques de son propre réalisateur, Khoa Lê, qui en a demandé le retrait après en avoir vu les versions finales. Or, de l’avis du ministre Charette, l’effet causé par l’offensive publicitaire est plutôt une preuve de son succès, puisqu’elle a, selon lui, nourri les conversations au sujet du racisme.
En entrevue, M. Touré a vite rejeté les soupçons de racisme entourant cette histoire. « Le monsieur, il était avec nous, il était avec sa femme là-bas. Après on dit que c’est du racisme :quel racisme ? Non. Il ne faut pas blâmer le monsieur s’il vous plaît », a-t-il insisté.