L'heure juste: il ne faut pas lâcher

Photo: Aaref Watad Agence France-Presse La proportion d’humains incapables de manger chaque jour le minimum nécessaire de calories à recommencer à grimper, selon la FAO, en particulier en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient principalement à cause des conflits armés et les facteurs climatiques perturbant l’agriculture.

La nouvelle décennie qui commence sera celle des grands défis pour nos gouvernants. Des défis qu’ils se sont eux-mêmes lancés en 2015 en s’imaginant peut-être que l’année 2030 était encore loin. Mais on y est presque. Il ne reste plus que 10 ans pour respecter les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) inscrites dans l’Accord de Paris et pour atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies.

Est-ce possible ? Comment arriver à éviter la catastrophe climatique quand encore trop de pays, dont le Canada, ont des cibles trop timides de réduction des émissions de GES ? Et peut-on vraiment penser venir à bout de l’extrême pauvreté, réduire radicalement la faim, assurer l’accès pour tous à l’éducation primaire et secondaire ?

La cascade constante de mauvaises nouvelles inciterait à baisser les bras tellement elle nous laisse l’impression que tout va toujours plus mal. Ce flot nous fait cependant oublier le chemin parcouru depuis plus de 20 ans grâce à l’action combinée des organisations multilatérales, des gouvernements, des organismes humanitaires et de la société civile. Il y a eu des progrès.

Chaque jour, des centaines de milliers de personnes à travers la planète ont enfin accès à l’électricité, à l’eau potable, à des services en ligne. La pauvreté extrême, qui est synonyme de faim, de santé précaire et d’absence de scolarisation, a reculé de moitié depuis 1990, selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). La baisse fut constante au cours des trois dernières décennies.

Encore 20 % de la population des régions en développement vit avec moins de 2 $ par jour et des millions vivent avec à peine plus, mais, relève l’économiste britannique Max Roser, sur son site OurWorldInData (OWD), « à l’échelle mondiale, la proportion de gens vivant sous n’importe quel seuil de pauvreté — 1,90 $, 3,20 $, 5,50 $, 10 $ [par jour] — est en déclin ». Il ajoute qu’un tiers de la population mondiale vit maintenant avec plus de 10 $ par jour (en dollar dit international, c’est-à-dire ajusté au coût de la vie local afin de permettre les comparaisons). C’est environ 900 millions de personnes de plus qu’il y a 10 ans.

Ce n’est pas le Pérou, loin de là. Les inégalités sont toujours criantes et la pauvreté reste une réalité, mais il y a eu des avancées qui ont fait une réelle différence dans la vie de millions de gens. Les actions prises n’ont pas été inutiles.

Moins de gens sont sous-alimentés. De 2000 à 2016, la proportion d’humains incapables de manger chaque jour le minimum nécessaire de calories est passée de 14,8 % à 10,8 %. Malheureusement, ce taux a recommencé à grimper, selon la FAO, en particulier en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient. Sont montrés du doigt les conflits armés et les facteurs climatiques perturbant l’agriculture.

En matière d’éducation primaire et secondaire, les progrès sont importants, selon le PNUD, grâce en grande partie au meilleur accès offert aux femmes et aux filles. OWD souligne qu’au milieu des années 1990, 46 % des enfants du monde qui étaient en âge de fréquenter l’école primaire en étaient privés. En 2014, c’était 20 %.

Dans son dernier rapport sur le développement humain paru en décembre dernier, le PNUD souligne ces progrès notables, mais il prévient qu’il faudra faire davantage pour atteindre les objectifs fixés en 2015 et qu’il faudra redoubler encore plus d’ardeur pour s’attaquer à toutes les dimensions de l’inégalité. La lorgnette économique n’a jamais suffi à la mesurer, rappelle-t-on, et en plus, de nouveaux enjeux sont apparus en cette ère de révolution technologique et de changements climatiques.

« Alors même que les disparités de niveau de vie de base s’estompent, et qu’un nombre sans précédent de personnes échappent à la pauvreté, à la faim et aux maladies dans le monde entier, les aptitudes qui seront indispensables pour faire face à la concurrence dans l’avenir immédiat ont évolué », relève avec insistance l’administrateur du PNUD, Achim Steiner. L’accès inégal à l’éducation supérieure et à l’Internet à haut débit peut à nouveau creuser le fossé. Et « les changements climatiques, les inégalités de genre et les conflits violents continuent d’alimenter et d’enraciner les inégalités. […] L’inaction face à ces défis systémiques ne fera qu’asseoir les inégalités et consolider le pouvoir et la dominance politique des élites », écrit-il.

Le Canada est un pays privilégié et a le devoir d’être solidaire des pays moins fortunés, mais l’inégalité est une réalité ici aussi. Il faut donc que tous nos gouvernements s’attaquent aux facteurs qui lui permettent de perdurer, quand ce n’est pas de s’aggraver. Rien ne justifie d’attendre pour rendre la fiscalité plus équitable, progressive et redistributive, pour accélérer l’amélioration des conditions de vie des Autochtones, pour intensifier l’action contre les changements climatiques, pour faciliter l’accès à des logements abordables…

Tout cela est une question de choix et les progrès passés démontrent qu’avec les bonnes politiques, on peut faire une différence. Veut-on la faire ?

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