Les élections de la diversité

En prenant son café lundi matin, Franklin Laguerre a eu un choc en voyant les membres du nouveau conseil municipal de Longueuil. Il n’avait jamais vu ça depuis qu’il s’est établi dans cette ville de la Rive-Sud, il y a 40 ans : près de la moitié des élus sont des immigrants de première ou de deuxième génération. Ils sont jeunes. Beaucoup sont des femmes. La mairesse elle-même, Catherine Fournier, est âgée de 29 ans.
« Félicitations ! Vous avez fait ma fierté. Je suis allé voter avec enthousiasme », a lancé le grand-père d’origine haïtienne aux nouveaux élus de Longueuil, réunis devant le quartier général de Catherine Fournier, sur le chemin de Chambly.
Franklin Laguerre est arrivé en klaxonnant, en faisant de grands gestes et avec un sourire grand comme ça. Il flottait presque, dans le soleil de novembre. Les élus qui discutaient avec les représentants du Devoir vivaient eux aussi de grandes émotions : la quasi-totalité du conseil municipal a été remplacée aux élections de dimanche. L’équipe de Catherine Fournier, Coalition Longueuil, a remporté 13 des 15 sièges de conseillers, en plus de la mairie.
« Une nouvelle génération arrive au pouvoir », non seulement à Longueuil, mais dans plusieurs villes du Québec, a souligné la mairesse fraîchement élue. À Sherbrooke, par exemple, les « premières » se sont multipliées : premier Noir élu conseiller, première conseillère immigrante et première femme mairesse en la personne d’Évelyne Beaudin, du parti Sherbrooke citoyen.
Le contraste entre les anciens conseillers municipaux de Longueuil et ceux qui ont remporté le scrutin est frappant. Les messieurs-dames d’un certain âge, tous des Québécois dits « de souche », ont cédé la place à des concitoyens plus représentatifs de la diversité nationale.
« On représente le Québec dans lequel on vit », dit Lysa Bélaïcha, née en Algérie il y a 22 ans, arrivée au Québec à l’âge de trois ans. « Oui, je suis noire, mais je suis québécoise », ajoute Rolande Balma, 21 ans, arrivée en 2014 du Burkina Faso. Les deux plus jeunes élues longueuilloises font des études universitaires (respectivement en études québécoises et en finance).
Elles ont un point en commun avec leurs collègues Affine Lwalalika, originaire de la République démocratique du Congo, et Alvaro Cueto, né au Québec de parents chiliens : les quatre sont amoureux du Québec. De leur quartier. De leur ville. De la langue française. Ils se sentent chez eux et ont envie de « redonner » à leurs voisins. Leur engagement politique, ils le doivent à Catherine Fournier, qui a eu « l’audace » de croire en eux malgré leur peu d’expérience en politique.
« Les grands changements partent toujours des jeunes. Quand je rencontre des électeurs qui me parlent de l’âge de Mme Fournier, je leur rappelle que le premier gouvernement de René Lévesque était formé de jeunes », dit Alvaro Cueto, qui est enseignant d’histoire du Québec au secondaire.
Leurs engagements électoraux reflètent ceux de leur génération : transformer Longueuil, ville de « chars » par excellence, en ville de vélo et de transport en commun. Ralentir la circulation, qui menace les jeunes familles nouvellement installées. Favoriser les commerces de proximité. Freiner l’étalement urbain. Protéger les espaces verts contre le développement immobilier.
Les électeurs se reconnaissent
À Sherbrooke, trois candidats immigrants ou issus des minorités visibles, tous membres du parti Sherbrooke citoyen, auront également leur place au conseil municipal. Rencontrés sur le parterre de l’hôtel de ville, Laure Letarte-Lavoie, Fernanda Luz et Raïs Kibonge discutent sous le regard bienveillant de leur nouvelle mairesse, encore grisés par la victoire.
« On dit qu’en politique municipale, on est plus près des gens. Mais si personne ne peut se reconnaître dans le conseil, ce n’est pas vrai que tu peux faire de la politique de proximité et couvrir les angles morts dans la société », explique Laure Letarte-Lavoie, jeune travailleuse sociale devenue syndicaliste, qui a été adoptée en Chine à l’âge de cinq mois.
Gestionnaire dans le milieu de la santé, sa collègue Fernanda Luz, une Brésilienne d’origine arrivée il y a 12 ans, a pour sa part constaté l’effet qu’elle avait lors de son porte-à-porte. « Pour certains, juste le fait de voir qu’on porte comme eux cette différence sur la peau, dans l’accent, les cheveux… Ils se sentent représentés », dit-elle.
Raïs Kibonge, qui a quitté la République démocratique du Congo en 2005 pour immigrer au Québec, a choisi de se présenter d’abord comme un citoyen qui allait travailler pour le bien de tous, sans égard à ses origines. Mais il voit bien que la présence de minorités comme lui engendre un « effet secondaire », soit celui de permettre à un plus grand nombre de Sherbrookois aux origines diverses de se projeter dans la société, voire de s’impliquer en politique active. « En 2017, à l’entrée d’un bureau de vote, il y avait des gens issus de la diversité qui me faisaient un clin d’œil, comme pour dire “on se reconnaît” », raconte celui qui travaillait jusqu’à tout récemment au bureau de la députée de Québec solidaire Christine Labrie.
Encourager le changement
À côté d’eux, tout sourire, la nouvelle mairesse âgée d’à peine 33 ans ne cache pas que recruter des candidats issus des minorités visibles fait partie des valeurs — et de la stratégie — de son parti Sherbrooke citoyen. « Si on fait juste laisser aller le libre marché politique, ceux qui vont avoir spontanément le réflexe de se lancer, ce sont les gens qui auront rencontré moins d’obstacles dans leur vie », avance Évelyne Beaudin. D’où l’importance, selon elle, d’avoir des partis comme le sien, qui sollicitent des personnes qui n’auraient jamais pensé à se lancer.
Elle dit d’ailleurs avoir mis l’accent sur le recrutement des candidatures féminines. « Les hommes, ils sont arrivés d’eux-mêmes. Mais recruter des femmes, c’était vraiment difficile. Elles voulaient réfléchir longtemps, en parler avec 12-15 personnes. Et quand tu vises une femme qui est en plus issue de la diversité, c’est une autre couche de défis », note Mme Beaudin.