Gorée, «l’île mémoire»

Hélène Boucher
Collaboration spéciale
L'île de Gorée, au large des côtes du Sénégal, où l’Histoire s’écrit au fil des pas sur les pavés ancestraux.
Photo: Catherine Avak/Unplash L'île de Gorée, au large des côtes du Sénégal, où l’Histoire s’écrit au fil des pas sur les pavés ancestraux.

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs

Territoire de moins de 30 hectares, l’île de Gorée règne, majestueuse, hors de l’étourdissante capitale du Sénégal et de ses millions d’habitants, avec l’Atlantique pour diadème. Bien qu’elle soit inscrite dans les registres comme 19e commune d’arrondissement, on y respire l’oxygène du temps. C’est un poème enchaîné au souvenir de l’être humain captif. Puis libéré.

Gorée est inscrite au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO depuis 1978, en mémoire universelle de la pire fracture esclavagiste d’Afrique. Depuis le port de Dakar, on rejoint l’île, non sans un pincement, à partir d’un traversier — ici chaloupe — en quelque vingt minutes. Idéalement de bon matin, pour saisir ses formes pastel tracées dans le brouillard. À l’accostage, le premier regard s’apaise sur un bout de plage invitant. Un pan de mur griffé au fier « Lion de la Teranga », symbole du pays et de son équipe de football, tout juste auréolée du titre de la meilleure équipe du continent africain.

Au fil de la prose goréenne

 

L’Histoire s’écrit au fil des pas sur les pavés ancestraux jusqu’à la Maison des esclaves, lieu cachot en 1776 de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes arrachés sauvagement à la terre nourricière pour être expédiés dans l’abîme triangulaire. L’espace carcéral diffuse l’ombre de ses esprits dénudés. Certains visiteurs osent sans vergogne s’y mettre en scène à coups d’égoportraits, sous le regard consterné du commissaire. Impossible fuite hors du bâtiment, dont la seule issue maritime consiste en une évacuation : celle du non-retour.

En sortant de la Maison des esclaves, dans un petit square à quelques mètres de là, un quatrain gravé, inspiration vive de l’historien, homme de lettres et diplomate Jean-Louis Roy : 

Celui qui vous a dit que Gorée est une île

 

Celui-là a menti

Cette île n’est pas une île

Elle est continent de l’esprit (novembre 1999)

Cette plaque s’incruste à même l’organisme goréen, tel un baume sur le genre humain, toute couleur d’âme et de peau confondue.

Dans les passages alentour se dressent des maisons coloniales de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Legs de famille, galeries d’art reconverties, gîtes et hôtels… ces espaces abritent la contemporanéité sans jamais s’y fondre. Portugaise, hollandaise, anglaise et française, les quatre nations d’anciens commerçants d’esclaves ont laissé leurs contours et influences architecturales à même ces bâtiments.

Photo: Ji-Elle Un monument en mémoire de l’esclavage, situé à proximité de la Maison des esclaves

Orgueilleuse, et en retrait, la plus illustre demeure de Gorée est celle destinée au chef d’État. Un pavillon sur mer mis à sa disposition. À ses murs ivoire, une douzaine de volets clos poussiéreux sur un lieu figé, inanimé. Le dernier président sénégalais à y avoir séjourné fut Abdoulaye Wade dans les années 2000-2010.

Artisanat du quotidien

 

La vie se tisse ici, simple et harmonieuse, par le geste créateur de ses artisans. Sur textile léger ou toiles robustes, cachée dans des bouteilles, la touche du doigté de fée. En trame auditive, No Woman, No Cry monte au ciel dégagé. Une pause en compagnie de Rasta Bobo, le temps de déguster sa fameuse omelette nature, pour s’émerveiller de ce décor artistique libre planté autour des baobabs. « Nous, les artisans, n’avons pas besoin de quitter Gorée, on vient nous y trouver… » clame l’homme rieur, tout près de l’empereur Sélassié.

En gravissant l’île devenant abrupte, Dakar au loin paraît soumise, presque risible avec ses immeubles à l’occidentale. Des insulaires écoutent et chantent à tue-tête les chants de la confrérie mouride pour gonfler leurs poumons. La besogne d’entretien du joyau les occupe en ce dimanche midi, au zénith solaire. L’environnement et sa végétation — bougainvilliers, feuillus et palmiers — cachent les déchets et plastiques ravageurs. Le lustre de Gorée brille de pureté.

La lente marche bat la cadence et s’harmonise aux notes de flânerie de tout l’être. À l’heure bien sonnée du déjeuner, après la prière discrète de 14 h, un arrêt gourmet s’impose Chez Tonton alias Djibril, le « colosse à la béquille ». Institution de Gorée datant de 1949, le restaurant accueille les fines bouches pour une bouchée de pain. Le plat vedette : le ragoût aux boulettes de lotte en sauce tomate. Une dominance d’huile, de bouillon de perles de chair océaniques et son monticule de riz local. Arrosé d’une bière Flag, le plat charme et fait saliver d’envie une colonie de chats opérant une danse de séduction autour des chevilles. Noir, blanc, blond ou tigré, le chat goréen arbore un poil brillant et un regard céleste.

L’heure du retour a sonné, au soleil couchant magnétisant. L’imposante statue de la libération de l’esclavage s’élève sur une pointe extrême, non loin du Fort d’Estrées. L’œuvre vibre au tam-tam de la délivrance.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

À voir en vidéo