Le canari dans la mine

On a fait grand cas, ces derniers jours, du faible taux de participation aux élections municipales. Or ce taux est non seulement faible (38 %), mais aussi 6 points plus bas qu’aux dernières élections. La ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, a pris acte de cette dangereuse glissade et a promptement demandé au Directeur général des élections du Québec (DGEQ) de se pencher sur de possibles solutions et d’envisager le recours au vote en ligne.
Mais au-delà de l’acte de voter, réfléchissons à la participation citoyenne aux affaires des villes. Selon les données du DGEQ, 6942 sièges (maires, conseillers ou préfets) étaient à pourvoir. Plus de la moitié, 4291, ont été attribués sans opposition. Calcul rapide : 61 % des candidats ont été élus par acclamation.
Par ailleurs, toujours sur la base des données du DGEQ, aux élections scolaires de 2007, 67 % des commissaires avaient été élus sans opposition. La marge de 6 points qui sépare les mondes municipal et scolaire est mince. Pourquoi donc parler de cela, alors que les élections scolaires, sauf chez les anglophones, ont été abolies par la CAQ ? Simplement parce qu’il aurait été plus sage de considérer ce qui se passait dans le monde scolaire comme un signal. Les résultats des élections scolaires, c’était le canari dans la mine de la démocratie de proximité.
Si on avait compris que les déboires de ces gouvernements de proximité responsables de l’organisation territoriale des services éducatifs étaient en fait les précurseurs de ce qui allait se passer au municipal, on aurait de façon responsable réagi comme l’a fait la ministre Laforest. On aurait décodé le signal. Mieux, on aurait porté une oreille attentive aux suggestions maintes fois répétées par les commissaires scolaires pour favoriser la participation électorale, notamment le vote électronique. Pourquoi ? Parce que ce qui se passait dans le réseau scolaire est en train de se passer au municipal.
Le nez rivé sur une promesse d’élection, le gouvernement Legault n’a pas vu le voyant jaune s’allumer sur le tableau de bord. Il n’a pas compris que la démocratie de proximité n’est pas seulement municipale ou scolaire et qu’il n’y a pas de petites démocraties, que ce qui se passe dans les villes risque fort de se passer au provincial, où on observe d’ailleurs une tendance à la baisse de la participation depuis 2012.
Quand on a remis en cause la légitimité des élus scolaires, par manque de vision, on ne s’est pas rendu compte que c’était la légitimité de tous les élus, tous niveaux confondus, qu’on allait remettre en question. Tout est lié, comme le dirait Edgar Morin.
Courte vue
Dans cette perspective, on saisit mieux le côté irréfléchi et à courte vue de l’initiative caquiste de 2014 qui appelait au boycottage des élections scolaires. On aura compris également que la solution caquiste aux problèmes de la démocratie scolaire n’avait que faire de la démocratie elle-même, elle ne visait que l’élimination d’un contre-pouvoir.
On nous a dit qu’en donnant congé aux élus scolaires, on voulait dépolitiser l’éducation. Et maintenant, va-t-on dépolitiser l’administration municipale et corriger le déficit de participation citoyenne en remplaçant les conseils municipaux par des conseils d’administration ? Si la chose paraissait fantaisiste il y a peu de temps encore, force est d’admettre que la question se pose.
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