Décentraliser le système de santé

Le 3 décembre dernier, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, déposait le projet de loi 19 dans l’objectif, selon le communiqué du ministère, « d’implanter un nouveau modèle de gestion, de moderniser notre réseau de santé et de décentraliser le réseau de la santé. Les Québécois méritent un réseau de santé humain et performant ». Il faudra cependant attendre un autre projet de loi pour atteindre ces objectifs, car la proposition actuelle ne traite essentiellement que de la gestion et de la sécurité des renseignements personnels, dont le dossier médical.
Même si ces questions sont importantes et méritent une mise à niveau législative, nous sommes loin de la mise en œuvre d’un nouveau modèle de gestion et d’une décentralisation du réseau de la santé et des services sociaux, qui sont pourtant parmi les conditions majeures pour en faire un réseau « humain et performant ».
Trois changements sont prioritaires dès maintenant : sortir de l’hospitalo-centrisme pour développer les services de proximité et la prévention ; réimpliquer les utilisateurs et les producteurs de services (et pas seulement les médecins) dans leur gestion et celle des établissements ; démocratiser le réseau de la santé et des services sociaux en décentralisant la première ligne vers les communautés locales.
Les dernières réformes du réseau ont été dans le sens contraire, avec les résultats que l’on connaît. Changer de cap nécessite une modification de structure et une volonté politique qui ne se manifeste pas encore. Évoquer la décentralisation dans un communiqué de presse est certes intéressant, mais elle commande un passage obligé, soit le démantèlement des mégastructures que sont les CISSS/CIUSSS et la création d’un nouvel établissement public local, probablement au niveau des MRC et des villes-MRC, dont la gestion relèvera d’une instance où seront présentes les différentes parties prenantes.
L’expérience des CLSC peut être éclairante à ce sujet, mais on doit aller plus loin en assurant la contribution non seulement des utilisateurs et producteurs de services ainsi que des organismes communautaires, mais aussi celle des instances municipales et des élus locaux, ainsi que des communautés autochtones si elles le souhaitent.
Responsabilité
Une gouvernance participative de la première ligne du réseau permettrait une responsabilité envers les communautés, en plus d’assurer plus de cohérence entre les orientations ministérielles et les besoins populationnels.
Cette gouvernance partagée pourrait contribuer à renverser la tendance lourde actuelle vers toujours plus de curatif, de privé et de gestion autoritaire. On peut ainsi estimer qu’une prise des communautés, ainsi que des producteurs et utilisateurs de services, sur les orientations et décisions locales serait peu favorable à la médecine à deux vitesses ou aux projets de type super-cuisines en CHSLD qui ne sont pas dans l’intérêt général et qui déshumanisent les services publics.
Décentraliser et démocratiser le système de santé permet d’en promouvoir la finalité de service public qui concourt à la qualité de vie et au développement des communautés qui requiert une capacité de délibérer et d’agir collectivement sur leurs enjeux prioritaires, dont les changements démographiques, l’exclusion et la discrimination, les changements climatiques et la transition socioécologique.
Cette transition, qui appelle à des transformations des modes de vie, ne pourra être qu’une affaire de gouvernements, de scientifiques ou d’entreprises. Elle devra inclure et mobiliser les communautés locales où les établissements publics de santé et de services sociaux ont un rôle à jouer d’acteur et de partenaire au leadership structurant.
Le système de santé au Québec est un bien commun de la plus haute importance et sa gouvernance doit en garantir à la fois l’efficacité et la qualité. Les 20 dernières années ont fait la preuve des limites et des effets pervers de la centralisation. Nous avons tout à gagner d’une nouvelle configuration du réseau de la santé et des services sociaux misant sur les services de proximité, la prévention, l’action et l’organisation communautaires.
L’avenir du système de santé réside dans sa réorientation vers les communautés locales au moyen d’une décentralisation démocratique des services de première ligne. C’était la vision fondatrice des CLSC dans les années 1970 qu’il faut réinventer à la lumière des défis actuels, et avec les ambitions et les moyens des années 2020.