Zemmour, de la nostalgie et du déni

Dans toute campagne électorale, on trouve des discours à saveur idéologique, des promesses de changement et de progrès ainsi que des récits nostalgiques faisant référence aux périodes « glorieuses » d’un passé souvent idéalisé. Mais, au-delà de toute cette artillerie et de ces feux d’artifice, il faut un programme, un projet de société lucide qui cimente le tout. C’est l’ancrage auquel l’électorat finit par s’amarrer en dernier lieu. Cet élément décisif avait fait cruellement défaut à Marine Le Pen à chacune de ses tentatives à la présidentielle française. Un scénario qui a de fortes chances de se répéter avec le polémiste Éric Zemmour, maintenant candidat déclaré pour le rendez-vous de 2022.
Discours nostalgique
Il est vrai que Zemmour réussit à faire rêver une partie de l’électorat français : environ 15 % selon les derniers sondages. Toutefois, son discours repose largement, pour ne pas dire exclusivement, sur un plaidoyer contre l’immigration considérée comme l’origine de tous les maux qui assaillent la France. De la théorie farfelue du « grand remplacement » au révisionnisme historique sur des personnages clés de l’histoire française, Zemmour ne ménage rien pour cultiver cette nostalgie de la « France grandiose » qui n’a plus sa place sur l’échiquier international à cause de l’immigration. Or, cet élan nostalgique est complètement déconnecté de la réalité de son pays, qui vit un déclin économique tangible depuis au moins deux décennies lié à la dynamique des transformations que l’économie mondiale a subies pendant cette période. Une dynamique à laquelle plusieurs pays, comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni (ainsi que le Québec et le Canada), ont su et pu s’adapter, alors que la France tarde à en trouver les moyens.
Réalité économique
En effet, que l’on regarde les indicateurs fondamentaux ou d’autres indicateurs économiques, le résultat est le même. Ainsi, le poids économique de la France dans le monde est en régression constante depuis le début des années 2000. Sa compétitivité sur les marchés mondiaux s’effrite, comme en font foi ses déficits commerciaux récurrents. Enfin, sur le plan de l’innovation, la France demeure à la traîne vis-à-vis de ses voisins européens en premier et face aux autres économies dominantes dans le monde, y compris les économies émergentes. Cela, sans parler du piètre état des finances publiques : une dette qui culmine maintenant à près de 115 % du PIB, une fiscalité des plus lourdes en Europe (voire au monde) et un déficit public structurel qui perdure depuis des décennies. Pour rappel, aucun gouvernement en France n’a présenté un budget équilibré depuis 1974 !
En ce sens, en plus d’être réductrices, les hypothèses, voire les excuses, de Zemmour (et de Le Pen avant lui) sur le déclin de la France largement mises sur le dos de l’immigration sont sans fondement : le niveau de celle-ci, à environ 10 % de la population, ne saurait expliquer toutes les anomalies de l’économie française. Plus encore, c’est le pire message à envoyer au marché. Car, si ce dernier est capable de dérapages troublants, il a des vertus aussi. Parmi celles-ci, le fait de regarder toujours vers l’avenir, de transcender les réflexes identitaires ou ceux de nostalgie et, encore plus, ceux de xénophobie.
Enfin, ce que propose Zemmour n’a rien d’un nouveau programme ou d’une promesse de changement réel et lucide : c’est plutôt de l’immobilisme, une dynamique désolante et coûteuse observée depuis plusieurs années dans ce pays. Cette dynamique présentée par Zemmour rappelle d’ailleurs un éditorial percutant du magazine britannique The Economist sur la présidentielle française il y a environ dix ans et qui avait semé l’émoi dans l’Hexagone.
Le titre était « Un pays dans le déni » !