Redistribuer l’espace dans les villes

Nous sommes un groupe d’experts qui s’intéressent à la qualité des milieux de vie et à la sécurité des usagers de la route les plus vulnérables. Nous sommes, comme tout le Québec, préoccupés par l’impact de la COVID-19 et suivons les recommandations des gouvernements et des autorités de santé publique quotidiennement.
Précisons tout d’abord que notre propos ici n’est en rien contradictoire avec ces recommandations : nous demandons aux citoyens de respecter les consignes d’isolement, de rester à la maison le plus possible et de limiter les sorties aux besoins essentiels. Par ailleurs, ces sorties se font pour certains en transport actif, c’est-à-dire à pied ou à vélo, ou encore en transport en commun, ce qui requiert systématiquement de marcher en début et en fin de parcours. S’ajoutent à cela les recommandations répétées de « prendre l’air » pour ses bienfaits physiques et mentaux, ce qui se traduit par la fameuse « marche de santé » qui fait maintenant partie de la routine d’un grand nombre de Québécois confinés. Cette question de la santé mentale et des bienfaits que procure la marche augmentera en importance si les mesures de distanciation physique se prolongent.
Des données récentes de compteurs piétons et cyclistes provenant de différentes villes canadiennes démontrent bien le changement radical de nos habitudes de déplacement — avec une baisse importante du nombre de piétons dans les quartiers d’affaires, mais une montée tout aussi importante des marcheurs dans les sentiers de loisirs — et de l’achalandage cycliste qui se fait en continu plutôt que durant les heures de pointe.
Force est de constater que la pratique de la marche est de plus en plus difficile à effectuer dans les infrastructures municipales existantes. En ce sens, l’arrivée des beaux jours du printemps nous préoccupe grandement : la distanciation physique est difficile sur des trottoirs trop étroits ou des pistes multifonctionnelles où se croisent cyclistes, piétons et joggeurs. Nous assistons déjà à divers comportements d’adaptation de la part des piétons, dont la marche dans les voies destinées aux véhicules, des comportements qui peuvent mettre en danger les piétons ou encore les pousser à réduire leurs sorties ou à prendre leur voiture pour de courts trajets.
La réattribution temporaire de l’espace routier pour les piétons a le potentiel de réduire la pression sur les infrastructures en place et permet ainsi le respect des consignes de distanciation (le fameux 2 mètres !) par un plus grand nombre. Ces nouveaux espaces de marche sont aussi requis pour prévenir les éventuelles collisions impliquant des piétons qui se retrouvent dans la rue par obligation. Nous avons aussi une préoccupation pour les interactions entre les piétons et les cyclistes, et pour la sécurité des cyclistes, ces derniers étant aussi parfois contraints de prendre la rue pour éviter des pistes cyclables empruntées par les piétons en manque d’espace.
Les interventions actuelles des villes à travers le monde à cet égard sont inspirantes : les villes de Calgary, de Vancouver et de Winnipeg, pour n’en nommer que quelques-unes canadiennes, ont toutes prévu certaines zones où l’espace habituellement destiné aux voitures est redistribué pour les piétons ou est transformé en pistes cyclables temporaires. Le Pedestrian and Bicycle Information Center vient aussi de rendre publique la liste de plus de 60 localités qui font des actions en ce sens.
Au Québec, la Ville de Montréal n’est pas en reste puisqu’elle maintient l’ouverture de la saison Bixi et qu’elle vient d’annoncer le réaménagement temporaire de l’avenue du Mont-Royal, en plus de la fermeture du pont Charlevoix aux véhicules. Soulignons également que la Ville de Drummondville a fermé le pont Curé-Marchand à la circulation automobile pour favoriser les déplacements sécuritaires des piétons et cyclistes.
Nous sommes d’avis que cela ne devrait être que le début. D’autres avenues commerciales et d’autres destinations prisées des marcheurs et des cyclistes devraient faire l’objet de tels réaménagements temporaires, dans toutes les localités du Québec, le plus rapidement possible.
*Signataires : Véronique Fournier, directrice générale, Centre d’écologie urbaine de Montréal ; Étienne Grandmont, directeur général, Accès Transports viables ; Martin Lavallière, professeur, Département des sciences de la santé, UQAC ; Kevin Manaugh, professeur agrégé, Département de géographie, Université McGill ; Jeanne Robin, porte-parole, Piétons-Québec ; Nicolas Saunier, professeur titulaire, Polytechnique Montréal ; Christian Savard, directeur général, Vivre en ville ; Owen Waygood, professeur agrégé, Polytechnique Montréal