À la défense des Comités d’éthique sur la recherche

On a récemment fait part dans Le Devoir d’un certain mécontentement de chercheurs universitaires quant à l’obligation qui leur est faite de soumettre à des Comités d’éthique sur la recherche, les CER, leurs projets de recherche impliquant la participation de personnes. Il s’impose peut-être de faire une mise au point, ce que je fais ici à titre personnel, marqué par sept années de participation à un tel comité.
Ce sont les grands organismes subventionnaires de recherche qui ont amené les universités et les instituts de recherche à mettre sur pied ces comités d’éthique. Les CER découlent de la vigilance qui s’est imposée dans les milieux de la recherche scientifique à cause d’abus passés dans la recherche avec des être humains, mais aussi de la sensibilité contemporaine au respect des droits des personnes.
Ces mêmes organismes ont défini la composition et le mandat des CER, et les institutions visées ont complété le cadre réglementaire, qui doit se conformer aux lois sur la protection des droits. Un CER, piloté par un spécialiste en éthique, regroupe nécessairement plusieurs chercheurs de différentes disciplines, un ou deux étudiants, des spécialistes en éthique et en droit, des représentants des milieux socio-économiques.
Les CER sont tenus de vérifier la conformité aux règles d’éthique de tous les projets de recherche impliquant des humains. On leur reproche de s’attarder à l’évaluation scientifique des projets même si ce n’est pas leur mission première. En matière d’évaluation, la pratique des grands organismes de subvention est de procéder à une appréciation anonyme, par plusieurs pairs, indépendants les uns des autres comme des soumissionnaires. On s’adresse ici à la pertinence et à la rigueur du projet soumis. Mais cette évaluation n’a pas pour objet d’évaluer l’impact des travaux sur les participants et ne le fait pas. Or, pareille participation peut comporter des risques pour ces personnes.
La nature de ces risques est très variée : atteintes physiques (de l’inconfort à la blessure) lors d’une manipulation, réactions néfastes lors de l’exposition à des substances, à des médicaments, réactions émotives, voire de traumatismes psychiques à l’évocation de situations pénibles, état de stress induit par une procédure, atteinte à son image publique, etc. Force est de constater que les chercheurs ne sont pas toujours conscients de l’importance de ces risques et des procédures qu’ils devraient mettre en place pour y remédier.
Le rôle des CER sera donc de s’assurer que la méthodologie proposée et les conditions d’interaction avec les participants n’entraînent pas de retombées négatives pour ces derniers, que soit totalement respecté leur droit à l’intégrité physique, psychologique aussi bien que sociale. Il revient même aux CER de s’assurer qu’on n’impliquera pas inutilement des participants dans une démarche qui ne présente pas les garanties nécessaires à la production de résultats scientifiquement acceptables. Un bon pourcentage de travaux publiés, même dans des revues prestigieuses, s’avère non reproductible à cause de défaillances méthodologiques. Dans le cas de travaux impliquant des participants, on aura donc sollicité inutilement le concours de personnes qui ont autre chose à faire que de se prêter à des recherches prévisiblement improductives, voire de mettre en jeu leur intégrité sur un plan ou l’autre.
Il en résulte qu’une des responsabilités des CER est donc de s’assurer que tout projet soumis a subi une évaluation rigoureuse. La pratique des grands organismes de subvention est sans doute la façon de faire vers laquelle on doit tendre. Mais il est fréquent, en particulier dans le cas de recherches non subventionnées, de projets avancés dans le cadre d’un stage, d’une maîtrise ou d’un doctorat, que les chercheurs soumettent à un comité d’éthique une simple appréciation par le responsable de la recherche, par un collègue, par un comité départemental, voire facultaire. Ces appréciations ne respectent pas toujours les exigences de base en ce qui touche la distanciation et l’anonymat dans lesquels les évaluateurs devraient procéder pour garantir leur pleine liberté d’action. Les chercheurs membres des CER sont aux premières loges pour relever d’éventuelles défaillances. Il est raisonnable d’avancer que, quelles que soient l’origine ou la portée du projet, les droits des participants sont les mêmes. Toute évaluation d’un projet devrait se faire avec un minimum de rigueur.
Il est facile de décrire les CER comme des machines bureaucratiques. Mon expérience dans un tel comité m’a montré combien les membres sont conscients des contraintes découlant des procédures voulues par les grands conseils. Ils n’ont aucun intérêt à relancer les chercheurs, ce qui ne ferait qu’accroître la charge de travail de tout le monde. Les chercheurs qui se sont conformés aux processus de soumission somme toute assez peu contraignant et qui soumettent un projet dûment évalué voient souvent leur projet approuvé dans un délai d’un mois, voire moins si, par exemple, les risques encourus par les participants sont minimes. Ce sera évidemment plus long si les dossiers sont incomplets ou dérogent aux principes que doivent défendre les CER, ce qui peut amener des allers-retours qui ne satisfont personne.
Les universités n’auront sans doute pas suffisamment fait connaître aux chercheurs leurs exigences en matière d’éthique et les contraintes qui en découlent. Il en résulte que le premier contact de chercheurs avec les préconisations de l’éthique peut être porteur de surprises, d’incompréhension, voire de ressentiment face à ce que d’aucuns perçoivent comme une intrusion dans leur activité.
Le rodage de l’application des règles d’éthique n’est certes pas terminé. Il y a des progrès à faire. Mais les CER sont là pour de bon, nécessité faisant loi.