Miser sur les fermes de proximité
Cela faisait partie des recommandations de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, présidée par le regretté Jean Pronovost. Treize ans après la présentation du rapport, le gouvernement Legault ouvre un peu plus la voie à l’émergence de petites fermes artisanales offrant des produits de niche et privilégiant souvent une mise en marché de proximité.
C’est toutefois par la porte d’en arrière que le gouvernement entend procéder. La ministre déléguée à l’Économie, Lucie Lecours, a présenté le projet de loi 103, qui cherche l’« allègement du fardeau administratif » et qui touche le monde municipal, les coopératives, Hydro-Québec, les mines, l’environnement, les sociétés de transport et tutti quanti. Enfouies dans ce fourre-tout se trouvent des modifications à la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles.
Le projet de loi 103 fournit à la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) une règle d’interprétation qui vise à « favoriser la pratique de l’agriculture selon une diversité de modèles nécessitant des superficies variées », à appliquer au moment d’autoriser ou non des projets d’exploitation agricole à plus petite échelle, des projets qui supposent souvent le morcellement de terres.
À l’heure actuelle, de nombreux jeunes qui se destinent à l’agriculture et des innovateurs se détournent du modèle de production à grande échelle que consolide la CPTAQ. Ces agriculteurs de la relève n’ont tout simplement pas les capitaux pour acheter ces exploitations d’envergure qui valent des millions, voire des dizaines de millions. Mais surtout, ils préconisent un modèle de petites fermes axées sur la culture maraîchère biologique ou encore alliant cette culture à de petites productions animales. Bref, plutôt que la spécialisation et les grandes superficies, ils privilégient une agriculture diversifiée pratiquée sur des terres de moins de 10 hectares.
Dans son rapport, Jean Pronovost jugeait que le secteur agricole étouffait sous les lois et règlements et que même si on devait préserver les piliers du système, il fallait l’ouvrir à « un foisonnement d’initiatives » en vue de la mise en marché de produits diversifiés. Après l’inaction du gouvernement libéral, les choses commencent à changer.
L’Union paysanne milite depuis des années pour qu’on permette l’établissement de ces fermes « à échelle humaine », ce à quoi la CPTAQ se montrait réticente. Historiquement, la tendance de l’organisme fut de considérer le remembrement des terres comme le meilleur moyen de les protéger, la grande taille des fermes garantissant une rentabilité accrue, du moins en théorie.
Le gouvernement caquiste ne procède pas à une réforme en profondeur de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. Mais la CPTAQ est appelée à appuyer le développement au Québec d’une agriculture plus diversifiée. Il y aura donc plus d’ouverture à l’égard de modèles différents, mais pour des projets dont la viabilité est prévisible.
Par ailleurs, le projet de loi 103 contient une mesure qui resserre la protection du territoire en restreignant le dézonage des terres agricoles par les municipalités, une plaie à l’heure actuelle. Ce ne sera plus aux municipalités de réclamer un dézonage, mais aux MRC et aux communautés urbaines. On croit que, dans un plus grand ensemble, d’autres emplacements pourraient être propices à la construction de nouveaux quartiers, ce qui éviterait que des terres agricoles passent à la trappe.
L’Union des producteurs agricoles (UPA), mais aussi Équiterre et Vivre en ville, invite le gouvernement Legault à la prudence. On voudrait que des balises plus précises soient édictées en matière de morcellement des terres. L’UPA a dit craindre que des richards ne s’inventent des activités agricoles dans le but de se construire des manoirs. Le morcellement risque aussi d’entraîner une hausse du prix des terres, ce qui nuirait à l’établissement des jeunes agriculteurs, mais enrichirait les intermédiaires. À juste titre, l’UPA estime que le gouvernement devrait se pencher sur le financement de la relève agricole.
Certes, le gouvernement Legault devra rester vigilant. Mais cette agriculture diversifiée et écologique, promue par une nouvelle génération d’agriculteurs bien formés, est une voie d’avenir. La coexistence avec l’agriculture de masse n’est pas simple, mais elle est possible et hautement souhaitable. L’an dernier, il s’est créé quelque 80 fermes de petite envergure. C’est bien pour l’occupation du territoire et la revitalisation des petites municipalités rurales. C’est aussi un pas vers une plus grande autonomie alimentaire.