Panne de résolution

La crise écologique, mère de toutes les crises, est aussi une crise des droits de la personne, ce que la COP26 de Glasgow aura peu pris en considération, jusque dans la façon dont elle a été organisée — incluant les uns, excluant les autres. Le gouvernement britannique avait promis de faire de ce 26e sommet sur le climat (30 000 inscrits venus de 120 pays), qui prend fin vendredi, le plus « inclusif » de tous. Mais le fait est, rapportait The Guardian, que les deux tiers des organisations civiles qui dépêchent normalement des délégués à ces sommets ont renoncé à se rendre à Glasgow cette année pour cause d’« apartheid vaccinal », de changements aux règles sur les voyages, de coûts de déplacement exorbitants et de système d’immigration britannique peu avenant. Et que les plus affectées par cette situation, on l’aura deviné, ont été les ONG des pays les plus pauvres, ceux-là mêmes qui sont les plus vulnérables au réchauffement climatique.

Il n’est donc pas tout à fait exagéré de qualifier la COP26, comme certains l’ont fait, de « sommet pour VIP ». En ce sens qu’elle aura bien peu fait pour réduire la fracture citoyenne Nord-Sud, bien que ces ONG jouent un rôle essentiel dans leur pays.

Le journal britannique MailOnline s’est « amusé » à dénombrer les jets privés atterrissant à l’aéroport de Glasgow à l’ouverture du sommet. Il en a compté 400 ! Un décompte par-dessus tout décourageant, à mettre en parallèle avec le fait que la COP26, comme toutes les autres avant elle, peine absurdement à faire consensus sur la simple mention dans sa déclaration finale du rôle des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) dans le réchauffement, pourtant responsables de 80 % des émissions de CO2 à l’échelle mondiale.

C’est Michelle Bachelet, haute-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, qui déclarait en septembre que « les crises interdépendantes liées à la pollution, aux changements climatiques et à la biodiversité » constituaient « le plus important défi de notre époque » pour l’exercice des droits de la personne — droit à la vie, à la liberté, à la sécurité, au travail, à l’éducation… Pleuvent à ce sujet les rapports étalant les dégâts sociaux que fait et que fera le dérèglement climatique. C’est celui du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, selon lequel plus de 21 millions de personnes sont déplacées chaque année par des désastres naturels reliés au réchauffement — deux fois plus que le nombre de migrants chassés par la violence et les conflits. C’est celui encore de l’Institute for Economics and Peace, un groupe de réflexion australien qui évalue que plus d’un milliard de personnes risquent d’être chassées de chez elles d’ici 30 ans, principalement dans des régions (Afrique, Moyen-Orient, Asie du Sud…) où l’absence de mesures de résilience face aux pénuries d’eau et aux mauvaises récoltes se conjuguera aux pressions de la croissance démographique.

Il est vrai que, s’agissant de la question des populations déracinées par le réchauffement, les projections sont notoirement imprécises. Il reste que le problème des réfugiés et des migrants climatiques ira forcément croissant. Par conséquent, il est irresponsable, pour ne pas dire inhumain, que les pays riches tardent toujours à tenir leur promesse emblématique d’aider les pays en développement, à hauteur annuelle de 100 milliards de dollars américains pendant cinq ans, à s’adapter au dérèglement.

Sans compter qu’à défaut d’agir en amont sur les questions environnementales, les gouvernements du Nord risquent de nourrir encore les réactions populistes et xénophobes. On connaît les démons qui possèdent les États-Unis sur la question migratoire. L’Europe n’est pas en reste : des pays comme la Grande-Bretagne, la Pologne (aux prises avec la manipulation cynique des migrants par la dictature biélorusse), la Grèce et la Croatie sont enclins à appliquer des politiques de refoulement des migrants, ayant de moins en moins de scrupules à violer les plus élémentaires protections conférées par les conventions internationales. Le risque est que s’accentue cette tendance à courte vue.

Si la COP26 a donné lieu à des engagements potentiellement porteurs — bonifiés par l’annonce inattendue d’un front commun écologique sino-américain —, ils demeurent pour l’heure trop incomplets et trop peu contraignants pour limiter le réchauffement à 1,5 degré Celsius. Par exemple, et sauf sursaut de dernière minute, les États participants n’auront pas réussi à s’entendre pour réviser dès l’année prochaine, et non pas seulement tous les cinq ans comme prévu dans l’Accord de Paris, leurs objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce qui est inouï, vu les défis. C’est le Forum de la vulnérabilité climatique, un partenariat de 55 pays en développement particulièrement touchés par la crise, qui en avait fait une proposition d’urgence. Opposant de premier plan à cette proposition : l’Arabie saoudite, très mauvais élève de la transition énergétique et fieffé violateur des droits de la personne — un pays dont on souhaite qu’au plus tôt il tombe en panne sèche d’influence.

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