De l’équité du passeport vaccinal

Dans les grandes œuvres dystopiques, les avancées scientifiques sont régulièrement dépeintes comme une menace à l’émancipation et à la survie du genre humain. La curiosité et le savoir poussés à leur extrême libèrent la pulsion meurtrière de la machine contre l’homme. C’est HAL dans 2001 : l’Odyssée de l’espace, Ava dans Ex Machina, Big Brother dans 1984. La crise sanitaire mondiale nous démontre à quel point la réalité est plus sordide que la fiction. La science ne tue jamais autant que la bêtise humaine.

Ainsi, l’humanité a enregistré des progrès phénoménaux dans la gestion de la crise sanitaire. Des vaccins efficaces et sécuritaires contre la COVID-19 ont été développés en un temps record grâce à la collaboration des chercheurs. En dépit de certaines turbulences initiales dans l’approvisionnement, le Canada et le Québec disposent d’un stock suffisant de doses pour vacciner la population. Les sites de vaccination sont pour la plupart des modèles d’efficacité, d’où l’on ressort, au terme d’une toute petite piqûre, impressionné par l’altruisme et le dévouement du personnel de la santé.

En date d’aujourd’hui, 83 % des Québécois admissibles au vaccin (12 ans et plus) ont reçu la première dose, et 67 % ont reçu la deuxième. Nous surfons sur un plateau, à l’orée d’une quatrième vague qui semble inévitable en raison de la propagation du Delta, un variant beaucoup plus contagieux que la source originale de la COVID-19. Pour toutes sortes de raisons, bonnes et surtout mauvaises, une partie de la population hésite à se faire vacciner, notamment au sein du groupe d’âge des 18 à 29 ans. Par ailleurs, des bouffons en mal d’attention, tel un Éric Duhaime, font preuve d’un opportunisme crasse en cautionnant l’irresponsabilité sociale de ceux qui refusent le vaccin au nom d’une conception tordue de la « libârté ».

La campagne de vaccination stagne sous le coup de la méfiance, de l’insouciance et des théories du complot les plus navrantes, alors que nous avons à notre disposition les moyens d’une société riche, forte d’un système de santé universel, pour arriver à l’objectif de vacciner plus de 75 % de la population avec deux doses, voire de 80 % à 90 % en raison du variant.

Pour venir à bout des trois premières vagues de COVID-19 et éviter l’implosion du système de santé, les Québécois se sont soumis à de durs confinements qui ont aplani leur santé mentale, leur économie, leur scolarisation et leurs interactions sociales, dont ils redécouvrent à peine la richesse à la faveur d’un été en zone verte.

Ceux-ci n’ont pas à faire les frais des réserves et des hésitations de leurs concitoyens à recevoir le vaccin. Ils ont acquis une liberté à la dure qu’il incombe de préserver. C’est pourquoi l’implantation d’un passeport vaccinal pour accéder aux services non essentiels (bars, commerces, gymnases, restaurants, etc.), comme le propose le gouvernement Legault, est une avenue à envisager. Nous sommes d’avis, tout comme le premier ministre, François Legault, que les Québécois qui ont fait l’effort d’obtenir leurs deux doses « doivent être capables de vivre une vie quasi normale ».

L’hypothèse était impensable il y a quelques mois à peine, mais voilà que la propagation du Delta, conjuguée au plafonnement de la campagne de vaccination, rend le passeport vaccinal nécessaire. D’autres pays, parmi lesquels figurent Israël, la France et l’Italie, de même que des villes telles que New York, ont déployé différentes versions du passeport vaccinal. L’atteinte aux libertés individuelles se justifie pour des impératifs de préserver la santé publique et ce qu’il reste d’énergie vitale du courageux personnel de la santé.

L’annonce semble déjà produire des résultats. Jeudi, plus de 11 500 Québécois ont pris un rendez-vous pour leur première dose, soit le double des journées précédentes, selon des informations transmises par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Cette avancée est conforme avec l’expérience enregistrée dans d’autres pays. En France, l’annonce du passeport vaccinal a mené environ trois millions de personnes en deux jours vers les sites de vaccination.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, dévoilera les modalités du passeport vaccinal la semaine prochaine. Il aurait été préférable, comme le réclament les partis d’opposition, de soumettre l’adoption du passeport vaccinal à un débat démocratique en bonne et due forme en commission parlementaire. Les chances que le projet soit compris et appuyé par la population s’en seraient trouvées améliorées.

Le gouvernement a d’ores et déjà annoncé que le passeport vaccinal ne sera pas exigé pour accéder aux services essentiels (santé, éducation, etc.). Québec devra démontrer que l’atteinte aux libertés individuelles est limitée à l’essentiel, que le passeport vaccinal produira les effets recherchés pour la santé publique et qu’il ne servira pas à d’autres fins que celle d’encourager la vaccination. Enfin, le gouvernement devra faire preuve d’ouverture, de tolérance et de créativité afin de rejoindre les populations qui n’entrent pas dans le camp des antivaccins mais qui manquent à l’appel pour des raisons mixtes de pauvreté, d’isolement, de barrières linguistiques ou culturelles.

À voir en vidéo