Le Canada n’était pas prêt à répondre à la pandémie
Depuis le début de l’urgence sanitaire, plus de 26 000 personnes ont succombé à la COVID-19 au Canada. Le fédéral n’était tout simplement pas prêt à relever les défis colossaux imposés par la pandémie.
Le rapport Bloodworth, rendu public récemment, confirme le désarroi qui caractérise le fédéral en matière de surveillance et de prévention des risques associés aux pandémies. Le rapport indépendant avait été commandé en novembre 2020 par la ministre fédérale de la Santé, Patty Hajdu, à la suite d’une enquête du Globe and Mail et de critiques exprimées par les scientifiques de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC).
Les trois membres du comité présidé par l’ex-conseillère en sécurité nationale Margaret Bloodworth en arrivent à la conclusion que le Réseau mondial d’information en santé publique (RMISP) n’aurait pas été en mesure de prévenir les autorités plus tôt que le 1er janvier 2020, lors de l’apparition des premiers cas d’infection dans la région de Wuhan, en Chine.
Par contre, le système d’évaluation de la menace ne fonctionne pas de manière aussi « limpide et harmonieuse » qu’il le devrait. Le rapport Bloodworth souligne qu’il y a place à de nettes améliorations dans l’usage de l’expertise du RMISP par l’Agence de santé publique du Canada, ainsi que par les agences et ministères fédéraux. De même, il propose de créer une unité d’évaluation du risque au sein de l’ASPC et de renforcer la coopération entre le RMISP, les services de renseignement et les partenaires internationaux.
Ces lacunes ont fait en sorte qu’après l’apparition des premiers cas en Chine, le gouvernement est resté convaincu que la pandémie posait un risque faible pour le pays jusqu’à la mi-mars. Pour un membre du G7 parmi les plus progressistes, le Canada aurait dû faire mieux.
Le premier ministre Justin Trudeau a reconnu qu’il y avait des améliorations à apporter au système de détection rapide des menaces épidémiques au pays, tout en insistant sur le fait que les autorités de santé publique avaient réagi très rapidement pour établir un plan d’action contre la COVID-19.
Cependant, le premier ministre élude la responsabilité de son gouvernement dans les ratés du système de détection des menaces. C’est sous sa gouverne que le rôle du Réseau mondial d’information en santé publique a été édulcoré. Il fut un temps où le RMISP fournissait jusqu’à 20 % des renseignements sur les épidémies à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ; le réseau a d’ailleurs joué un rôle de premier plan pour agir contre les épidémies de SRAS, de grippe A (H1N1), de SRMO et d’Ebola.
L’organisme n’était plus que l’ombre de lui-même depuis que le gouvernement Harper a commencé à rogner son autonomie et ses budgets dans les années 2000. Mais il n’en demeure pas moins que les libéraux ont contribué à sa dégradation. En 2018, ce sont tout de même les libéraux de Justin Trudeau qui ont pris la décision de concentrer l’action du RMISP sur les menaces intérieures, une décision complètement insensée en regard de ce que la communauté de pratique en épidémiologie prévoyait : la poussée démographique, l’empiétement de l’espèce humaine sur les habitats naturels des animaux sauvages et l’internationalisation des échanges concouraient à accroître — et non à diminuer — les risques d’une pandémie. En 2019, huit mois avant la pandémie, ce sont encore les libéraux de Justin Trudeau qui ont réduit encore plus le rôle du RMISP au sein de l’ASPC, allant même jusqu’à cautionner la mise au rancart de son système d’alerte internationale.
Dans le cadre de l’énoncé économique de l’automne 2020, l’Agence de la santé publique du Canada a reçu 691 millions sur deux ans pour renforcer sa capacité d’intervention. Son effectif a gonflé de 1000 personnes. Ces investissements ne suffiront pas à accroître la vigilance du Canada si la volonté politique de prioriser la détection des pandémies n’est pas au rendez-vous.
L’ASPC est loin d’être un élève modèle, comme l’atteste le rapport de la vérificatrice générale publié en mars dernier. Durant la crise sanitaire, le niveau de risque pandémique est resté à « faible » trop longtemps, l’agence ne sentait pas l’urgence de diffuser des alertes, ses outils technologiques et ses méthodes de partage de renseignements étaient désuets, son suivi de la quarantaine imposée aux voyageurs était une passoire. En une phrase, la vérificatrice Karen Hogan avait résumé l’étendue du marasme : « Je suis découragée », avait-elle dit en déplorant que l’ASPC n’eût pas encore réglé des problèmes connus de longue date.
Alors que d’autres pays dans le monde envisagent de renforcer leurs systèmes de détection des pandémies, les lacunes au sein de l’Agence de la santé fédérale devraient sonner l’alerte à Québec. Ottawa n’a pas tiré de leçons des épidémies de SRAS en 2003 et de grippe A (H1N1) en 2009, en dépit des rappels à l’ordre de la vérificatrice générale. Rien ne garantit un scénario différent en ce qui concerne la COVID-19.
Il est dans l’intérêt du Québec d’étirer au maximum sa compétence en matière de santé publique pour se préparer à l’inéluctable menace des pandémies. Elles feront partie de notre destin collectif pour des décennies à venir.
Une version antérieure du texte, qui indiquait que les premiers cas d’infection étaient apparus dans la région de Wuhan le 1er janvier 2019, a été modifiée.