Évitons le simplisme
La déclaration du premier ministre François Legault devant les membres du Conseil du patronat au sujet de sa préférence pour des immigrants qui gagnent plus que les 56 000 $ de salaire moyen du Québec continue de faire des vagues. Malhabile pour les uns, méprisante pour les autres, disons qu’elle est plutôt le reflet de la vision pour le moins peu claire que le gouvernement de la CAQ entretient au sujet de l’immigration.
Pour M. Legault, un immigrant est avant tout quelqu’un qui vient combler un besoin économique bien précis. Non pas qu’il ne reconnaisse pas le fait qu’une société développée comme le Québec a aussi des responsabilités humanitaires qui l’obligent à recevoir des demandeurs d’asile. Mais pour le premier ministre, l’immigrant idéal est un individu qui non seulement possède les compétences suffisantes pour justifier qu’on l’autorise à s’installer chez nous, mais dont lesdites compétences lui permettront de générer rapidement des revenus élevés. Car, comme il l’a répété mardi à l’Assemblée nationale, « chaque fois que je rentre un immigrant qui gagne moins de 56 000 $, j’empire mon problème ».
Le Québec n’a-t-il pas besoin de travailleurs dans le secteur manufacturier, en agriculture ou en santé ? Quelle curieuse façon d’aborder la question de l’immigration ! Comme si tous les immigrants qui gagnent moins que la moyenne des Québécois à leur arrivée chez nous étaient un problème. Quel problème ? Le fait de consommer plus de services publics que ce qu’ils versent en impôts ?
S’il est vrai qu’on retrouve une plus grande proportion d’immigrants parmi les sans-emploi et les prestataires de l’aide sociale que la place qu’ils occupent dans la population, voilà une vision à court terme qui se rapporte surtout à certaines catégories, comme les demandeurs du statut de réfugié. Une situation qui se corrige généralement après quelques années. Et plus vite on leur aura donné la possibilité d’apprendre le français, plus vite ils s’intégreront. D’ailleurs, la langue constitue pour plusieurs un plus grand obstacle à l’emploi que le diplôme. Puis, n’oublions pas les enfants, qui deviendront bien vite de petits Québécois comme les autres.
Tout cela ne veut pas dire qu’il faille prendre au pied de la lettre l’argumentation du Conseil du patronat associant directement les problèmes de pénurie de main-d’œuvre, de vieillissement de la population et d’enrichissement économique à la croissance rapide du nombre d’immigrants. Comme le réputé Pierre Fortin l’écrivait dans L’actualité en 2019, si les pays qui accueillent le plus d’immigrants étaient ceux où la pénurie de main-d’œuvre est la moins grave, les États-Unis auraient réglé leur problème depuis longtemps, alors que le Japon, qui accueille très peu d’immigrants, serait en pénurie grave. Ce qui est l’inverse de la réalité, car « un plus grand nombre de personnes en âge de travailler peut très bien conduire à une aggravation plutôt qu’à un soulagement des pénuries de main-d’œuvre » à cause de l’augmentation de la demande de biens et de services qui accompagne la croissance de la population active.
« Augmenter rapidement les quotas d’immigration pour affronter des pénuries particulières de main-d’œuvre n’est pas une solution », affirme Fortin, puisque cela « aurait pour effet d’aggraver le chômage des immigrants récents et de renforcer la résistance sociale à l’immigration. Autrement dit, vouloir aller trop vite risquerait de nous faire reculer au lieu d’avancer ».
Le Québec a besoin des immigrants, cela est une évidence non seulement économique, mais sociale et culturelle. Encore faut-il être en mesure de les accueillir et de leur permettre de s’intégrer de façon harmonieuse en leur fournissant l’accompagnement nécessaire. Or, quand on constate le cul-de-sac incroyable dans lequel sont encore plongés des milliers de candidats à l’obtention du statut de résident permanent du seul fait de la lourdeur bureaucratique, tant à Québec qu’à Ottawa, on ne peut que trouver la sortie du premier ministre Legault encore plus incongrue.
Comme Le Devoir nous l’apprenait récemment, des demandeurs du statut de résident permanent, dont une majorité habitent et travaillent déjà chez nous, font le choix de retourner dans leur pays d’origine à cause de la lenteur chronique de nos administrations publiques à respecter les délais promis. Ils sont ainsi plus de 51 000 détenteurs d’un certificat de sélection du Québec en attente depuis des mois d’une réponse d’Ottawa.
M. Legault, pourquoi ne pas vous montrer plus ferme à l’endroit de votre homologue fédéral au lieu de vous enfermer dans une logique qui ne tient pas la route ? Ces gens en attente du statut de résident permanent que vous avez déjà sélectionnés sont des candidats parfaits à l’immigration… même s’ils ne gagneront pas tous 56 000 $ la première année.