Commission sur les pesticides: portrait toxique
La Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN), dans le cadre d’un mandat d’initiatives, se penche cette semaine sur l’usage des pesticides dans l’agriculture et dans l’alimentation. Le portrait qui s’en dégage n’est guère rassurant : nombre de ces produits sont toxiques, même à des doses infimes, et le fait qu’on en utilise autant ne s’explique pas par l’absence d’autres solutions viables, mais par la force d’une industrie transnationale qui a réussi à imposer son modèle économique.
En 1992, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), le ministère de l’Environnement et l’Union des producteurs agricoles (UPA) se sont entendus pour réduire de 50 % l’utilisation des pesticides en agriculture. Or, 27 ans plus tard, les producteurs agricoles épandent sur leurs terres autant de pesticides et d’herbicides qu’avant.
Il y a eu récemment une avancée dans le contrôle des pesticides : le gouvernement libéral a imposé aux producteurs l’obligation d’obtenir une justification et une prescription, signées par un agronome, pour l’utilisation de cinq insecticides : l’atrazine et le chlorpyrifos, dont la toxicité est telle que des chercheurs indépendants se demandent pourquoi ils ne sont pas tout simplement interdits, et de trois insecticides de la classe des néonicotinoïdes, ces tueurs d’abeilles dont on enrobe les semences à grande échelle. Chiffres à l’appui, les représentants des apiculteurs et apicultrices du Québec ont décrit les ravages que causent les néonicotinoïdes chez les pollinisateurs.
L’Ordre des agronomes du Québec a proposé que ce pouvoir de prescription qu’exercent ses membres soit étendu à tous les pesticides, soit quelque 370 substances contenues dans 1200 produits en vente libre. Ce serait une excellente suggestion si la majorité des agronomes n’étaient pas en même temps des vendeurs de pesticides à la solde de l’industrie. Comme le faisait remarquer Louis Robert, cet agronome et lanceur d’alerte congédié par le MAPAQ puis réembauché, cette pratique viole le code de déontologie de la profession qui somme l’agronome d’éviter toute situation de conflit d’intérêts.
C’est un aveu d’impuissance qu’a livré l’Institut national de santé publique (INSP) : après des demandes répétées, le MAPAQ et le ministère de l’Environnement refusent de lui transmettre les données sur l’usage des pesticides. Ces ministères ont signé des ententes de confidentialité avec les fabricants de pesticides. Relevant de Santé Canada, l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA), qui vient d’ailleurs d’accorder une prolongation de 15 ans à l’homologation du glyphosate, a été montrée du doigt parce qu’elle se fie presque exclusivement à des études émanant de l’industrie. Ces études ne portent que sur la matière active, a fait remarquer l’INSP, et non pas sur les autres ingrédients potentiellement toxiques ajoutés aux produits commerciaux.
La chercheuse Maryse Bouchard, du Département de santé environnementale et de santé au travail de l’Université de Montréal, a donné un aperçu des études, américaines surtout, qui montrent les dangers de l’exposition aux pesticides à faible dose. Les pesticides neurotoxiques causent des TDAH, des difficultés d’apprentissage, une baisse du quotient intellectuel chez les enfants. En l’absence de données collectées auprès de populations humaines, l’état des connaissances ne permet pas d’évaluer les risques pour la santé publique au Québec. Les chercheurs indépendants devraient avoir accès aux données du nouveau registre d’utilisation des pesticides et du système de santé. Surtout, le Québec devrait se doter de sa propre instance de contrôle et d’évaluation des risques liés aux pesticides compte tenu des lacunes de l’ARLA dont les décisions sont dominées par des études financées par l’industrie.
La Coop fédérée et les Producteurs de grains du Québec sont venus défendre le recours aux pesticides en raison de la concurrence internationale et des consommateurs qui sont motivés avant tout par le prix. Or les exigences des consommateurs changent et même ces gros acteurs devront s’adapter. De toute façon, le gouvernement québécois ne peut faire fi des impératifs de santé publique.
On ne pourra pas éliminer totalement l’usage des pesticides, ni des fertilisants d’ailleurs, mais on peut en réduire l’utilisation de façon marquée. Les producteurs agricoles doivent cesser d’en faire un usage excessif et inutile, quand c’est le cas, se tourner vers d’autres méthodes de culture et s’affranchir d’une industrie délétère qui finit par leur coûter cher. Le gouvernement caquiste, qui ne peut ignorer ses responsabilités, doit soutenir énergiquement ce mouvement.