La magie perdue de Boris Johnson

Ses cheveux ébouriffés sont un reflet de son style brouillon, improvisé, qui va dans toutes les directions. Son regard ironique semble vous dire : « Vous ne m’aurez pas. C’est moi qui, à la fin, vous roulerai dans la farine ! »

Le fait est qu’au fil des ans, et jusqu’à tout récemment, c’est généralement ce qui s’est passé. Boris Johnson fut jadis un chroniqueur en vue qui, de Bruxelles, racontait aux lecteurs de journaux conservateurs britanniques toutes sortes de bobards, exagérés, voire fictifs, sur les turpitudes de l’Union européenne. Des scandales de mensonges, de citations inventées, voire de plagiat, ont été associés à son nom, mais il s’en tirait toujours.

Maire de Londres puis ministre, sabotant de l’intérieur du Parti conservateur l’autorité de l’ex-première ministre Theresa May (empêtrée dans le vaudeville de l’après-référendum de 2016), il fut un franc-tireur sans convictions, un aventurier de la politique maîtrisant mal ses dossiers. Mais avec le génie du slogan efficace et de la formule qui tue.

Il y a deux ans à peine, il remportait haut la main, avec 44 % des suffrages et 56 % des sièges, une élection générale menée sur le thème « Get Brexit Done ! » et en mimant les politiques sociales de la gauche.

Ainsi fut fait et, à la dernière minute de 2020, le Royaume-Uni sortait enfin de l’Union européenne.


 

Mais l’année 2021 — et en particulier l’automne qui s’achève — aura été le moment où la chance insolente de Boris Johnson l’aura quitté, où la gouaille et la politique-spectacle n’auront plus suffi.

La fin de l’année vire au cauchemar pour les Britanniques. L’inflation explose, les pénuries se répandent. Les problèmes d’approvisionnement, qui affectent aussi l’Europe, sont exacerbés par le Brexit et une politique d’immigration stricte, qui a laissé le pays sans camionneurs, avec des rayons de supermarchés à moitié vides.

Les infections de COVID-19 montent en flèche. Après avoir promis un Noël 2021 libre et déconfiné grâce aux vaccins (70 % de vaccinés à deux doses, ce qui n’est pas si élevé… et avec beaucoup d’AstraZeneca par-dessus le marché), Johnson vient de ramener en catastrophe un « plan B » qui ne devait jamais sortir des tiroirs : masque obligatoire, passeport sanitaire et compagnie…

Mais le 14 décembre, près de 100 députés conservateurs(sur 365) se sont rebellés contre leur propre gouvernement, en votant contre ce plan… qui n’a finalement pu passer au Parlement que grâce à l’appui massif des députés travaillistes : humiliation pour Boris le grand manœuvrier !

Le 16 (jeudi dernier), lors d’une élection partielle, le Parti conservateur a perdu un bastion qu’il détenait depuis deux siècles. Qui plus est, dans un scrutin déclenché par la démission forcée d’un élu pris dans une affaire de lobby rémunéré (pour des compagnies pharmaceutiques et alimentaires)… un vieil ami que Boris Johnson avait voulu protéger !

Ajoutons-y le scandale à retardement des grandes fêtes qui se déroulaient dans les appartements de Downing Street en décembre 2020, alors que le pays était confiné de force… et on a au total un certain portrait de la « décadence des élites » — celle-là même que les leaders pro-Brexit de 2016 (y compris Johnson) dénonçaient à tour de bras.


  

Les classes populaires, qui ont soutenu ce projet de 2016 aujourd’hui réalité, et qui étaient passées en bonne partie aux conservateurs à l’élection générale de décembre 2019, sont en train d’abandonner la formation à laquelle elles s’étaient ralliées pour un moment.

Pris à partie, mardi au Parlement, par le leader de l’opposition Keir Starmer — qui a aujourd’hui l’embarras du choix pour les angles d’attaque et qui parlait d’un régime « qui a perdu la confiance du peuple » —, Boris Johnson n’a trouvé comme réponse que des répliques usées : « Vous avez un penchant et une nostalgie pour l’Union européenne », ajoutant sans rire : « Si nous n’avions pas quitté l’Union européenne, le Royaume-Uni serait aujourd’hui confiné et sans vaccins ! » Il trahit ainsi un certain désarroi… peut-être le signe que Boris a perdu sa « touche magique ».

Et puis avant-hier, le bouquet : David Frost, ministre aux Relations avec l’Union européenne, ex-négociateur du Brexit, proche allié du premier ministre dans les péripéties des dernières années, a remis sa démission à Boris Johnson.

Il s’est dit « déçu par le leadership politique du gouvernement ». Selon le Mail on Sunday, ce grand conservateur est « désabusé » : il était contre la mise en place de la Green Pass (version britannique du passeport vaccinal), approuvée la semaine dernière aux Communes, contre les restrictions sanitaires, et hostile aux « investissements verts », qu’il juge excessifs. Il a aussi déploré l’impasse, face à Bruxelles, sur la question de l’Irlande du Nord et de son statut commercial… détail encore non réglé du Brexit.

La débandade actuelle des conservateurs à Londres donne un nouvel exemple de ce qu’on a déjà pu constater ailleurs, notamment en Italie avec la Ligue de Matteo Salvini.

Les populistes sont excellents pour chialer dans l’opposition et aller chercher un fort vote de protestation… mais ils se révèlent moins convaincants lorsqu’il s’agit d’avoir un programme positif et de l’appliquer.


  

François Brousseau est chroniqueur d’affaires internationales à Ici Radio-Canada. Cette chronique fait relâche et sera de retour le 10 janvier. francobrousso@hotmail.com

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