Noël malgré tout

« Cachez ce Noël que je ne saurais voir. » Cette transposition de la célèbre réplique de Tartuffe n’a jamais été autant d’actualité. Le dernier exemple nous vient de la Commission européenne. En octobre dernier, la commissaire à l’Égalité, Helena Dalli, publiait un document visant à « illustrer la diversité de la culture européenne ». Il s’agissait, disait-on, de « mettre en valeur la nature inclusive » de la Commission « envers tous les milieux et toutes les convictions des citoyens européens ».

C’est évidemment Noël qui fut la première cible de ce vade-mecum de la rectitude langagière. De nombreux Européens n’étant pas chrétiens, il faudrait préférer l’insipide « Joyeuses fêtes » à l’intempestif « Joyeux Noël ». Bref, effacer la signification de cette date qui rythme notre calendrier depuis qu’en 532 le moine scythe Denys le Petit proposa à l’Église de compter les années à partir de la naissance du Christ, et non plus à partir de la fondation de Rome. La bêtise se déplaçant généralement en troupeau, la commissaire invitait également ses membres à délaisser l’expression « Mesdames et messieurs » et à éviter les prénoms aux sonorités trop chrétiennes, comme « Marie » et « Jean ».

On pourrait rire de ces extravagances si elles ne venaient pas de si haut. À Bordeaux, les habitants n’en finissent plus de vitupérer contre le maire écologiste Pierre Hurmic. L’an dernier, celui-ci avait décidé d’envoyer promener une tradition devenue chrétienne à partir du XVIe siècle : l’arbre de Noël. Sous prétexte qu’il s’agissait d’un « arbre mort », celui qui décorait la place Pey-Berland a été remplacé par un amas de ferraille et de verre de 11 mètres de haut. À quand l’interdiction des fleurs coupées et des branches de gui ?

À Paris, des citoyens se sont spontanément cotisés pour ériger un vrai sapin de Noël devant la mairie du 12e arrondissement au lieu des affreux cônes en bois posés sur le parvis. C’est sans parler des polémiques que suscitent régulièrement les crèches traditionnelles dans des villes aussi diverses que Lyon, Bézier et Melun. Étrangement, l’étonnante détestation de certains à l’égard de ce symbole populaire de la Nativité semble inversement proportionnelle à l’émerveillement qu’il provoque chez les enfants. Peu importent les croyances de leurs parents.

« Incroyable mais vrai : le jour est arrivé. Il faut maintenant tenter de sauver Noël », s’exclamait cette semaine le philosophe et député européen François-Xavier Bellamy. Car ce nouveau culte de la diversité semble surtout se délecter de l’effacement d’une certaine culture populaire et de tout ce qui évoque la chrétienté. Est-ce un hasard si, le 8 décembre dernier, à Nanterre, une procession de catholiques a été agressée dans l’indifférence générale aux cris de « Mécréants » et de « Je vais vous égorger » ?

Dans son dernier livre aux accents prophétiques, la philosophe Chantal Delsol pronostique La fin de la chrétienté (Éditions du Cerf). Bien sûr, elle ne parle pas de l’Église et de la religion proprement dite, mais de la civilisation qui s’est construite autour d’elles et qu’elles ont inspirée pendant seize siècles. Malraux ne disait pas autre chose lorsqu’il affirmait que « la nature d’une civilisation, c’est ce qui s’agrège autour d’une religion ». Et il ajoutait : « Notre civilisation est incapable de construire un temple ou un tombeau. Elle sera contrainte de trouver sa valeur fondamentale, ou elle se décomposera. »

Selon Delsol, ce scénario est en voie de réalisation. On peut contester ou relativiser ce jugement pour le moins définitif, mais il pourrait contribuer à expliquer pourquoi les discours de la vertu se substituent si souvent à la réflexion politique. Selon Delsol, c’est le point de rupture où nous sommes qui explique cette explosion de moralisme dans des domaines autrefois réservés à la pensée politique. Comme si on demandait au politique de soigner les âmes, ce qu’il ne pourra évidemment jamais faire.

On songe à la nouvelle religion écologique avec ses sermons, ses grandes liturgies publiques, ses rites expiatoires et ses saints. On pense évidemment à la « cancel culture » qui opère largement sur un mode religieux et va même jusqu’à brûler des livres et à diaboliser des mots. Même la nouvelle pensée racialiste n’est pas sans faire penser au phénomène américain des « Born Again ». En témoignent les véritables confessions publiques auxquelles se livrent certains de ses penseurs influents sur le mode de la révélation.

C’est ce que Delsol appelle « la religion de la morale ». Dans Le Figaro, elle expliquait que ces utopies ayant « remplacé le royaume de Dieu par l’utopie terrestre, elles croient à la perfection et ne tiennent plus compte des réalités. En abandonnant la transcendance, elles ont cessé d’être des promesses pour devenir des programmes. […] D’où une morale à la fois despotique et irréaliste ».

Voilà ce qui expliquerait l’étonnante intransigeance des nouveaux censeurs qui cherchent à régir jusqu’aux pensées les plus intimes de chacun. Profitons-en pour nous souhaiter un joyeux Noël avant qu’un illuminé ait l’idée saugrenue de nous l’interdire…

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