Noël en sons et en couacs

Je sais. Ce sera un drôle de Noël. Encore un autre vécu sous le grincement de la COVID. Et les contaminations augmentent de façon vertigineuse. Omicron pointe ses pics menaçants en direction de tout un chacun. François Legault ne parvient plus à rassurer son monde. « Çà, bergers, rassemblons-nous. » Était-ce une si bonne idée que ça, de se rassembler, au fait ?

En attendant la fête au parcours cahoteux, plusieurs se sont raccrochés à des classiques de l’Avent pour garder une oreille dans le monde d’hier. La pandémie a effacé des empreintes artistiques ou sociales déjà diffuses. Les gens les cherchent à tâtons.

Plusieurs sont allés écouter un des deux Messie de Haendel à Montréal, l’un à l’oratoire Saint-Joseph, l’autre à la Maison symphonique. Sur la montagne, quand le chef Boris Brott a invité l’auditoire à se lever pour son Hallelujah, en imitant le roi d’Angleterre George II à la première de cet oratorio en 1742, on sentait une onde de plaisir s’entrelacer aux vieilles traditions effilochées. Elles n’ont plus grand sens, celles-là. La monarchie britannique pique du nez depuis longtemps chez nous, la dévotion à l’avenant. Et puis, le Messie avait d’abord été composé pour la fête de Pâques. Pas grave ! C’est le geste partagé qui rassure un moment. Le public est devenu fragile. Faut comprendre.

Quant aux chants de Noël entendus à l’église ou à la radio, voire sur un CD des Petits Chanteurs du Mont-Royal qu’on fait jouer un soir chez soi, ils semblent émaner d’une époque révolue. On les écoute les yeux mi-clos. « Jouez hautbois, résonnez musettes. » Ça sonne joliment, sur des accents d’une candeur évanouie. Pour l’harmonie, les cantiques religieux volent au-dessus des rengaines commerciales de circonstance qui nous cassent les oreilles dans les magasins à grand renfort de synthétiseurs. Épargnez-nous les Jingle Bell Rock et le I Wish You a Merry Christmas ! Les anges dans nos campagnes ont des ailes plus poétiques. En cela, les croyances respectives de chacun ne changent rien. Question de beauté et de note pure.

Le legs culturel des Fêtes est avant tout musical. Et de plus en plus profane. Ce qui ne le rend pas meilleur pour autant, on le constate à regret. L’esprit de la célébration religieuse s’est égaré avec la foi de nos aïeux. Alors, on mêle aux airs d’avant-hier des paroles de retrouvailles scandées par la grosse caisse. Avec une angoisse sanitaire de plus.

Tant mieux si les amis et les familles, même en rangs décimés, communiquent d’une façon ou d’une autre en ces temps froids de l’année. Tant mieux si le Minuit, chrétien les fait encore vibrer ou s’ils préfèrent écouter du rap à la veillée. Qui saurait être contre la mélodie du bonheur ?

Bien des vedettes populaires concoctent disques et concerts de saison plus ou moins criards ou invitent à partager en famille les célébrations préenregistrées. Chez les Dion, chez les Deschamps, c’est l’allégresse à pleins gosiers. Mais comment y croire vraiment ? On traverse une époque si dure. Deux ans de pandémie, ça mine le moral de bien du monde. Ne devrait-on pas chanter en sourdine ? Ce n’est pas pour jouer les prophètes de malheur à trompettes, mais un reconfinement est si vite arrivé sur les cendres du gros réveillon.

Les réjouissances bien arrosées se combinent à des doutes et à quelques rires amers. Ceux des personnes âgées esseulées et des marginaux à contre-courant de la liesse prescrite en amont par des dirigeants masqués et inquiets, qui ont longtemps poussé leurs ouailles à se défouler malgré les risques courus. Cette fête de la nostalgie suscite tant d’attentes que les mesures sanitaires de dernière heure pour lui couper le sifflet pourraient rendre les gens hystériques ou violents. La jument s’est emballée. Woh, la grise !

Pourtant, Noël réveille chez plusieurs de douloureux souvenirs. Tant de crises furent vécues devant les sapins, comme l’évoquaient Serge Denoncourt à La Presse et Denise Bombardier au Journal de Montréal. Sous la neige blanche, cette nécessité de dépenser à tout vent pour des cadeaux mal choisis quand les parents tirent le diable par la queue et s’entredéchirent mérite qu’on agite une cloche ou deux pour lui calmer le pompon. La béatitude de commande crispe les sourires sur la photo de famille. Des grincheux de Noël nous conseillent par la bande de modérer nos transports. Comment leur donner tort là-dessus ?

Où nous mène tant de furie consommatrice ? Les réunions trop grasses et barbouillées jurent avec nos temps fragiles. La crise climatique invite à dépenser moins pour minimiser notre empreinte carbone. Quant à la pandémie, elle appelle à tempérer ses bisous quand un virus gambade en chantant Gloria ! lorsqu’il nous touche. On se souhaite un joyeux Noël en musique, mais pas sous le violon de cet Omicron-là. Allegro ma non troppo. Tout doux ! Tout doux !

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