Mourir comme un chien, ou un chat

Rien ne la prédisposait à devenir « Dr Death » ou la « Body bag lady » de sa profession. Pourtant, il y a une douzaine d’années, la Dre Céline Leheurteux en a eu marre de se cacher de ses clients après une euthanasie, comme si elle travaillait pour la mafia. « J’utilise du matériel ultra précis, des sondes urinaires, des fils de suture pour la cornée, des radiographies numériques, mais je n’ai rien pour déposer un animal mort. J’ai glissé des milliers de corps dans des sacs de poubelle en toute légalité. Je n’ai pas l’air de ça, hein ? »
Le matériel adéquat lui faisait défaut pour accompagner cet instant délicat où les liquides biologiques fuient et le propriétaire de l’animal se décompose, en larmes. La vétérinaire de 45 ans pratiquait en Montérégie, où elle traite petits et grands animaux. Elle a dû apprendre la science de la mort « sur le tas de fumier ».
« Nous n’avons reçu aucune formation à la faculté pour ça. On est drillés pour sauver des vies, pas pour tuer », me raconte-t-elle par échange visio d’un village du Doubs, en France, où elle s’est installée avec sa famille pour la prochaine année. « J’ai reçu des cours sur l’anesthésie, mais rien sur l’euthanasie. C’est une science de choisir les bonnes molécules et le dosage. Je me suis cassé la gueule pendant 15 ans avant de trouver la meilleure façon. »
L’homme est un animal qui a la faculté de penser quelquefois à la mort
La Dre Leheurteux en a tâté des veines avant de tomber sur la bonne ; elle en a apaisé des propriétaires hésitant à condamner un animal souffrant, même par anesthésie. « Dans la nature, ils mourraient à cause des prédateurs ou par incapacité à se nourrir. On espère tous que notre animal parte dans son sommeil, mais c’est peu courant. Le sentiment de culpabilité est grand, et on laisse traîner la décision. L’animal a 15 ans, mais on ne veut pas lui enlever une demi-journée de vie… Notre rôle, c’est aussi de guider les gens parce qu’ils n’ont plus de perspective. La perte de qualité de vie, ce n’est pas seulement ne plus avoir d’appétit. »
Il en faut du courage pour abréger les souffrances de ce compagnon de vie chéri. « Pour l’aider, lui, tu dois piler sur toi, constate la Dre Leheurteux. Tu dois accepter ton calvaire. » Qui se traduit par la perte, la solitude parfois, un grand vide, une peine immense.
Accepter la mort
Dans une société qui cache la finalité et où personne n’est préparé devant le deuil d’un animal, Céline Leheurteux a mis au point une housse mortuaire, sur le marché depuis six ans et vendue dans 25 pays aux cliniques vétérinaires. Pour trois millions d’animaux de compagnie au Québec, il se pratique 300 000 euthanasies par année, parfois dans le brouillard de l’improvisation. « J’en ai vu, des grands gars de six pieds roulés en boule qui hurlaient sur le plancher de la salle d’examen en disant “Câlisse, j’ai pas pleuré de même pour ma mère.” Il faut que je sois solide. Ça les rassure », pense la Dre Leheurteux.
La vétérinaire avoue trouver les soins de la dernière heure très gratifiants et bouleversants. « C’est beau, c’est intense, d’une grande intimité. Tu ne reçois jamais autant de remerciements que pour une euthanasie. On t’envoie des cadeaux, des cartes, des photos. Un jour, j’ai eu un homme effondré devant Tigars, 12 ans, que j’ai endormi. Il gémissait “Va le rejoindre.” Son chien Tigars, c’était tout ce qu’il restait comme témoin de son fils frappé par un train derrière la maison. C’était tout ce qu’il restait de vivant de son fils. » Elle n’allait pas mettre le chien dans un sac vert. « En médecine vétérinaire, tout est tellement technique, précis, bienveillant, et rendu là, c’est le seul aspect de notre travail qu’on ne peut pas montrer. Le seul ! Je me sentais en rupture avec nos valeurs profondes. »

Aujourd’hui, l’Euthabag, un linceul sobre et hygiénique, est disponible en cinq formats, du cochon d’Inde au grand danois. « Comme pour avoir un enfant — elle en a trois —, je me suis lancée naïvement dans l’aventure de la vie d’entrepreneure. » Céline Leheurteux a même convaincu les « Dragons » lors de son passage à leur émission en 2018. Selon une étude récente, seulement 15,6 % des propriétaires d’animaux trouvent le sac de poubelle acceptable comme façon de disposer de leur animal avant l’incinération ou l’enterrement.
Un deuil particulier
La Dre Marie-Claude Leblanc a pratiqué plus d’un millier d’euthanasies durant sa carrière à Montréal, et sa clinique fut l’une des premières à adopter la housse mortuaire même si cela lui coûte de 25 $ à 40 $ de plus en frais. « Je ne me sens pas le besoin de le dire aux clients. Je n’ai pas besoin d’étendre ma bonne conscience jusque-là. Tu veux tellement poser les bons gestes et prononcer les bons mots durant une euthanasie. Le sac de poubelle coupait ça sec. C’est trop symbolique, trop chargé. La housse ajoute une touche respectueuse, et je dois ça à mes techniciennes aussi. J’ai le souvenir du museau de mon propre chien qui sortait du sac de vidange… »
Tu n’es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je suis
La Dre Leblanc s’est intéressée à cette forme de deuil particulièrement déchirant. « Le deuil animal est parfois plus difficile que pour un humain. C’est un lien d’amour inconditionnel. Il n’y a pas d’animosité ni de rancune. C’est une relation précieuse et un regard bienveillant. J’ai beaucoup lu sur le deuil ; il faut le vivre, et d’aplomb ! Les vétérinaires, nous sommes aux premières loges de cette douleur. Nous ne sommes pas préparés pour ça dans notre formation. »
L’équipe de Céline Leheurteux tente d’aider les vétérinaires à réduire le stress de tous et fournit des formations sur cette étape cruciale. Elle-même, après avoir vu son père atteint du cancer décéder de déshydratation dans un hôpital, il y a sept ans, souhaite mourir comme un animal : « J’ai vu mon père dans la souffrance et la perte de dignité qu’il redoutait tant, alors qu’éthiquement je ne pourrais jamais laisser pâtir un animal comme ça. Moi, j’aimerais mourir comme un chien, sans douleur, sans stress et entourée des gens que j’aime. C’est un droit fondamental dont j’espère ne pas être privée. »
Joblog | De «pusher» punk à restaurateur végétarien
Vous êtes parent découragé d’ado ou un jeune adulte un peu marginal en quête d’un modèle hors norme ? Sortir du cadre, le livre d’Alex Bastide, proprio de la chaîne de restaurants L’Gros Luxe, est certainement une lecture très enrichissante et rafraîchissante d’honnêteté. L’éditeur Cardinal a eu la bonne idée de conserver la langue colorée et spontanée punk/skateur/musicien de ce gars dont les profs ne donnaient pas cher l’once au secondaire. Il détestait l’école et son style punk dérangeait. Le futur entrepreneur a mis de l’argent de côté en vendant du haschisch et en empruntant 16 000 $ à ses parents. Il s’est même établi comme skateshop à Vancouver. De là à ouvrir une chaîne de restos végés au Québec, il fallait de l’imagination et une solide conviction dans ses valeurs. Un bouquin inspirant de parcours atypique, bien illustré. https://bit.ly/3rb0iZi
Aimé le TEDxUMontréal avec la Dre Céline Leheurteux, La face cachée des vétérinaires (2021). Elle trouve que les humains ne sont pas assez poilus et trop compliqués, nous explique la réalité des vétérinaires et le rapport à l’argent, la face cachée de la profession. « C’est pas un travail, c’est une mission. Un vétérinaire gagne le tiers du salaire d’un médecin. » Les vétérinaires s’enlèvent aussi la vie deux ou trois fois plus que la population en général… dont la moitié avec les produits qu’ils ont sous la main pour euthanasier les animaux. https://bit.ly/3oUIoXL
Signé la pétition contre le dégriffage des chats (et autres mutilations communes) appuyée par les vétérinaires du Québec. Vous avez jusqu’au 12 janvier pour vous joindre. https://bit.ly/3HQ4jIn
Savouré le livre La recette parfaite, de Katia Bricka, une végane accomplie dont le blogue populaire a enfanté ce livre de 80 recettes souvent adaptées d’une alimentation carnée comme le chili sin carne, le mac sans cheese, la tartinade de « faux thon » ou aux « oeufs », des faux cretons à base de lentilles et même du tempeh Stroganoff. Un cours de base sur la nutrition et des conseils sur la mealprep (elle est d’origine française, et son éditeur a imprimé ce mot qui aurait pu se traduire par « préparations » sur la couverture. Ouch.). Garanti sans souffrance animale. https://bit.ly/3DUeZU2