Céline, vedette et industrie

On peut trouver qu’Aline de Valérie Lemercier a des allures de téléfilm, que le patronyme Dieu à la place de Dion sonne grandiloquent à souhait, que la cinéaste-interprète française a mal à son accent et que la distribution québécoise fait des étincelles. Reste que ce film bon enfant et inégal demeure une fiction inspirée librement de la vie de la diva de Charlemagne. Valérie Lemercier a posé sur son idole un regard de bienveillance, se gardant de l’irriter au cas où elle daignerait un jour voir son biopic. La dépendance au jeu du mari gérant y est escamotée, comme les autres travers du héros masculin. Nous nageons en plein conte de fées.

La vision fantasmée d’une Française d’une vedette d’une autre culture comporte son lot de risques. Chaque peuple se construit des clichés sur le dos des autres. Être ou ne pas être crédible… là est la question. Tout allait pourtant comme sur des roulettes en France pour Aline. Ovation à Cannes en juillet, démarrage en lion avec 600 000 entrées dans l’Hexagone après une semaine d’exploitation (mais forte retombée par la suite), presse québécoise en gros positive.

Le vrai test était ailleurs. À la première montréalaise d’Aline mardi, Michel et Claudette Dion, frère et sœur de Céline, ont éreinté le film au micro de Julie Snyder. L’effet miroir déformant dérange sa fratrie. Ils ne retrouvent pas leur maison d’enfance dans cette cabane au Canada, l’accent québécois de Lemercier les fait suer, Céline se voit dessinée de façon trop caricaturale. Des erreurs factuelles seraient légion. Leur mère n’aurait jamais parlé sur ce ton à René Angélil, alias Guy-Claude Kamar. On en passe et des plus vertes. Lemercier, blessée, a refusé devant les médias de s’excuser pour ce film, qu’elle défend à belles dents.

La cinéaste a avoué dès le départ avoir romancé des épisodes. En modifiant le nom de la chanteuse, elle choisissait de s’en distancier… tout en s’en drapant. Il est humain, pour les proches, de s’insurger devant une image décalée du réel, mais la liberté artistique prime à coup sûr. La cinéaste l’a exercée, en jouant sur les deux tableaux. À elle d’encaisser des grognements en conservant son droit à la création. Aline a été conçu sans la collaboration de Céline Dion, ni son interdiction. Réalité et fiction ne font pas toujours bon ménage. Air connu.

Toujours délicat de mettre en scène, en les pastichant, des personnes vivantes. Le côté fictif tient de la gifle pour les modèles, même en littérature. Et les Québécois n’aiment pas passer pour des ploucs devant les Français. Quand on lui fait prononcer « Votican » plutôt que « Vatican », le clan voit rouge. Faut dire que la famille Dion est à cran. La célèbre sœur en arrache.

Aline sort à un drôle de moment. Effets de pub ou de contre-pub en vases communicants, les ennuis de santé de la diva québécoise qui l’empêchent de chanter à Las Vegas pourraient pousser le public à vouloir la retrouver au cinéma… Ou pas. Tant de titres chocs ont roulé en boucle ces derniers temps, tels « La fin de sa carrière ! » ou « Céline au plus mal ! ». Même les plus indifférents (j’en suis) connaissent ses déboires. Et si toutes ces Cassandre avaient raison, une bio mêlée de fiction au cinéma pourrait l’emporter sur la réalité de sa vie, pourtant documentée depuis des décennies. À moins que la réaction outrée de sa fratrie ne vide des salles, au Québec du moins. Le film possède un distributeur américain, Roadside Attractions/Samuel Goldwyn Films, avec une sortie prévue au début de 2022, mais l’étoile de Céline brille moins fort là-bas que si elle tenait l’affiche à Sin City.

Les mégavedettes s’appartiennent-elles vraiment ? Jetées en pâture à leurs fans et à leurs détracteurs, elles voient leur carrière suivre un cours fluctuant comme à la Bourse. En cas de défaillance, les voici susceptibles de mettre à genoux un producteur qui mise sur sa diva pour le renouveau postpandémique.

Depuis quelques semaines, la famille de Céline Dion tente de calmer le pompon des médias, en dédramatisant la condition médicale de la star. En vain. Habituellement, la chanteuse québécoise offre aux amateurs de potins peu d’os à gruger : pas d’alcool ni de drogue, fidèle à son mari disparu, allergique à la faune désabusée du star-système américain. Des sites « people » lui inventaient bien une liaison par-ci, par-là… Reste son état de santé.

Les mégavedettes, par-delà leur talent, se font coller une étiquette commerciale gravée dans leur légende, gavant ainsi une énorme industrie. Elles sont de vraies machines artistiques sans droit de s’enrayer. Sinon, la horde des dépendants y perd des plumes. Le film Aline ajoute une couche aux confusions entourant une artiste affaiblie. C’est ce que la famille de Céline Dion digère le moins peut-être. Et si ce film tombait surtout bien mal dans sa vie…

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