Le foie gras s’immisce dans la présidentielle française

« Moi, j’en mange. » La phrase est finalement tombée entre deux soupirs d’exaspération. À quelques encablures de Noël, traqué par les journalistes de France Info, le candidat d’Europe Écologie-Les verts Yannick Jadot n’a pu éviter de répondre à la question fatidique : mangez-vous du foie gras ? Mais le candidat à la présidentielle a tenu à préciser qu’il ne mangeait que du foie gras artisanal. Estimant que son interdiction « peut avoir du sens », Jadot a aussi refusé de dire s’il y en aurait à l’Élysée si d’aventure il était élu en mai prochain. « Les cocktails, c’est pas le sujet ! » s’est-il exclamé.
Et pourtant. Depuis deux semaines, le foie gras est sur toutes les lèvres et dans toutes les discussions. Et pas seulement parce que Noël est à nos portes. À quatre mois d’une élection présidentielle où les questions identitaires défraient la chronique, rares sont les candidats qui ont évité le sujet.
Alors que les fêtes de Noël et du Nouvel An représentent 80 % de la consommation de foie gras, l’élection l’an dernier de maires écologistes dans plusieurs grandes villes de France a relancé la polémique. Après Strasbourg, Villeurbanne et Grenoble, ce fut au tour de Lyon, pourtant considérée comme la capitale de la gastronomie française, de bannir le foie gras de ses réceptions officielles. La nouvelle était passée inaperçue jusqu’à ce que le maire, Grégory Doucet, souhaite dans le mensuel Lyon Capitale que « son initiative puisse être suivie dans les restaurants ». Si l’association végane PETA (Pour une éthique dans le traitement des animaux) a applaudi à cette initiative de la mairie, ailleurs ce fut le tollé !
« Ne gâchez pas la fête ! »
« À quelques jours de Noël, lancer une polémique sur le foie gras, ce n’est qu’un coup de “com” », déplore le chef étoilé Christophe Marguin, qui ne décolère pas. Chef du restaurant Le Président à Lyon et patron des Toques blanches lyonnaises, qui regroupe 120 cuisiniers, Marguin estime que le foie gras fait partie du patrimoine gastronomique français et qu’il n’est pas question de l’en déloger. « C’est un plat de fête qui demande beaucoup de soins de la part des éleveurs et pour sa préparation. C’est un plat que les étrangers nous envient dans le monde entier et dont il faut être fier. »
En guise de réponse au maire, dans son restaurant sur les quais du Rhône, Marguin a décidé d’offrir cette année non pas un, mais deux plats de foie gras. Le chef affectionne particulièrement le foie gras poché dans un bouillon de volaille de Bresse, nous a-t-il confié.
« Que les verts mangent ce que bon leur semble et laissent la France être la France. » Avec son style cinglant habituel, le candidat Éric Zemmour fut l’un des premiers à réagir, alors qu’il était pourtant en visite en Arménie. La nouvelle élue des Républicains (LR) Valérie Pécresse lui a aussitôt emboîté le pas. Elle s’en est prise non seulement au bannissement du foie gras, mais aussi à plusieurs interventions des nouveaux maires écologistes, comme l’abandon du traditionnel sapin de Noël à Bordeaux ainsi que leurs critiques du Tour de France et de l’élection de Miss France. « Oui, être français, dit Valérie Pécresse, c’est avoir un sapin de Noël, c’est manger du foie gras, c’est élire Miss France et c’est le Tour de France, parce que c’est cela, la France. »
Dimanche dernier, 127 parlementaires lançaient un cri d’alarme dans Le Journal du dimanche en dénonçant une polémique portant « atteinte à notre patrimoine, notre culture, notre identité ». Selon la tribune, ces décisions pourraient mettre à mal une filière agricole déjà éprouvée par l’influenza aviaire et la fermeture des restaurants durant la crise sanitaire. « À tous les élus qui ont interdit le foie gras ou comptent le faire, écrivent-ils, nous avons un message : ne gâchez pas la fête ! »
Si Emmanuel Macron n’est pas intervenu sur le sujet, son ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a été sans ambiguïté : « Il faut assumer les traditions, il y aura du foie gras à ma table », a-t-il dit. La question n’a pas été posée à la candidate socialiste Anne Hidalgo (PS). Mais, en 2006, n’a-t-elle pas été intronisée dans la Confrérie du foie gras du Gers ?
Un incontournable
Élu et originaire du Sud-Ouest, la grande région productrice de foie gras, le centriste François Bayrou, président du MoDem et soutien d’Emmanuel Macron, n’a pas voulu être en reste. « La France est un pays qui s’est illustré par son excellence dans ce domaine, a-t-il affirmé sur BFM-TV. Je ne suis pas pour qu’on supprime nos compétences d’excellence. »
Bayrou précise qu’il est favorable au respect du bien-être animal, mais que, selon lui, « le gavage d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec le gavage d’hier. Il est aujourd’hui doux. Il ne l’était pas autrefois ». C’est aussi l’opinion de Christophe Marguin, selon qui les éleveurs prennent un plus grand soin de leurs bêtes. « Elles sont mieux traitées qu’avant, dit-il. Elles sont beaucoup plus élevées en plein air, l’abattage est mieux contrôlé et le gavage est plus doux qu’avant. De toute façon, une bête maltraitée ne ferait pas un bon foie gras. Nous le savons. »
Avec 14 associations de chefs, Marguin a signé une déclaration à la défense de ce symbole de la haute gastronomie française. Les chefs s’engagent à le mettre à l’honneur sur leurs tables, à écrire aux maires des villes où le foie gras a été banni des réceptions pour les inciter à reconsidérer leur décision et à venir visiter les élevages où se pratique le gavage.
Le gavage d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec le gavage d’hier. Il est aujourd’hui doux.
Chez les militants animalistes de PETA, on estime au contraire que la cruauté est inhérente à la production de foie gras. L’association d’origine américaine affirme que « nous n’avons pas le droit de disposer [des animaux] pour notre alimentation, notre habillement, nos expériences scientifiques et nos loisirs ». Fruit de ce militantisme, le gavage a déjà été interdit dans une douzaine de pays européens et pourrait l’être bientôt dans toute l’Europe. En juin dernier, le Parlement européen a demandé à la Commission de légiférer d’ici 2027 afin d’interdire le gavage des oies et des canards et tout élevage d’animaux en cage.
Avec plus de 70 % de la production mondiale, la France est le premier producteur mondial de foie gras. C’est pour protéger les 3500 producteurs français qu’en 2006 le foie gras a été reconnu « patrimoine culturel et gastronomique français ». Selon un sondage fait pour le Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras, pas plus que les politiques, les Français ne sont prêts à déroger à la tradition : 91 % en consomment et 75 % ont prévu de le mettre au menu du repas de Noël ou du Nouvel An. Dans la liste des incontournables des repas des Fêtes, il arrive en tête, devant le saumon fumé et la bûche de Noël.
D’ailleurs, depuis cette polémique, se réjouit Christophe Marguin, « je n’ai jamais servi autant de foie gras ».