
Une aide humanitaire de l’armée pour les Autochtones de l’Amazonie critiquée

7 h du matin, base aérienne militaire de Brasília. Sur le tarmac baigné par les rayons du soleil naissant, une poignée de journalistes montent à bord d’un Embraer KC-390. Ils prennent place aux côtés de 21 médecins et professionnels de la santé. Testés au préalable, tous ont été déclarés négatifs à la COVID-19, assure-t-on.
Pour une cinquième fois depuis le début de la pandémie, l’armée brésilienne met le cap sur des territoires indigènes pour livrer à leur population du matériel de protection, de dépistage rapide et pour leur offrir médicaments et soins de santé. Les ministères de la Défense et de la Santé, mais aussi le FUNAI — l’agence gouvernementale chargée des affaires autochtones —, participent à l’effort.
En ce matin du 1er juillet, la mission doit d’abord se rendre sur les terres des Yanomami, avant de gagner le territoire de Raposa Serra do Sol, à Roraima. Au total, ces régions reculées de l’Amazonie, limitrophes du Venezuela, comptent une population d’environ 75 000 indigènes.
L’opération, qui s’est étirée jusqu’au 5 juillet, a été vertement critiquée par des organisations et groupes de défense autochtones. Cette « campagne de relations publiques » menée devant la presse internationale n’était qu’un moyen, selon eux, de redorer l’image du gouvernement de Jair Bolsonaro et de sa gestion chaotique de la pandémie.
Pire, elle a surtout mis en danger ces communautés, ont dénoncé plusieurs. L’armée, en plus de bafouer leur isolement sans autorisation, a fait fi des règles de distanciation et peut-être propagé le virus, a déploré publiquement le président d’un conseil de santé local, Júnior Yanomami.

Celui-ci a rapidement porté plainte, poussant le ministère public fédéral à faire enquête. La distribution pendant la mission d’environ 16 000 comprimés de chloroquine sera aussi examinée. Elle a fait sourciller des leaders indigènes, car son efficacité pour traiter la COVID-19 n’a pas été prouvée.
Mais contrairement à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le ministère de la Santé brésilien la recommande pour traiter les symptômes légers de la maladie. Le président Bolsonaro, récemment infecté, en fait lui-même la promotion.
Menaces
La COVID-19 frappe déjà fort parmi les Premières Nations du Brésil. Le nombre de cas a bondi en l’espace de quelques semaines dans certaines communautés et les morts s’additionnent.
Plus de 8000 cas ont été recensés jusqu’ici, selon les chiffres officiels, et près de 200 décès. Toutefois, selon l’Association des peuples indigènes du Brésil (APIB), ce bilan a d’ores et déjà doublé.

Il manque d’informations « solides » pour brosser un portrait précis de la situation, confirme dans un échange avec le Devoir Felipe Tavares, professeur à l’Université fédérale Fluminense de Rio de Janeiro. Une situation qui l’inquiète, car des communautés sont particulièrement vulnérables au virus, n’ayant pas l’équipement nécessaire pour se protéger, dépister massivement ou encore isoler les personnes contaminées. « Il y a des maisons où plusieurs personnes vivent qui n’ont pas l’eau courante ou des salles de bains exclusives », explique le chercheur.
Selon lui, pour éviter que la COVID-19 fasse des ravages, des mesures d’urgence sont nécessaires. Le système de santé indigène doit être « renforcé » et les soignants venant de l’extérieur — qu’il est impératif de former aux réalités des Premières Nations — doivent s’isoler au préalable, suggère-t-il entre autres. L’accès aux terres autochtones doit aussi être limité aux besoins de santé publique.
« Certaines de ces actions ont été menées, mais de manière inégale d’une région à l’autre », croit M. Tavares.

Outre les travailleurs de la santé, des chercheurs d’or qui opèrent clandestinement en Amazonie sont accusés d’être les principaux vecteurs d’infection. Selon plusieurs ONG, ils sont environ 20 000 sur les terres des Yanomami, encouragés par le président Bolsonaro qui veut ouvrir ces zones aux puissants lobbies agricoles et miniers.
Le photojournaliste Renaud Philippe était au Brésil grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.
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