«Maudites chartes!»: le mieux est l'ennemi du bien

Louis-Philippe Lampron s’interroge sur le recours préventif, pour la Loi sur la laïcité de l’État, à la dérogation à la Charte canadienne  des droits  et libertés.
Guillaume Lamy Louis-Philippe Lampron s’interroge sur le recours préventif, pour la Loi sur la laïcité de l’État, à la dérogation à la Charte canadienne des droits et libertés.

Si le sociologue Guy Rocher, un des artisans de la Révolution tranquille, pria, en 2019, l’Assemblée nationale d’adopter la Loi sur la laïcité de l’État en jugeant primordiale la modernisation collective du Québec, Louis-Philippe Lampron, professeur de droit à l’Université Laval, témoigne d’une attitude différente. Il s’interroge sur le recours préventif, pour cette loi, à la dérogation à la Charte canadienne des droits et libertés.

Loin de s’appuyer sur le juridisme — travers de certains spécialistes du droit —, Lampron, né en 1979 et donc loin de l’expérience du nonagénaire Rocher, manifeste de l’idéalisme dans sa vision de la laïcité. Il écrit : « J’éprouverai toujours beaucoup plus de fierté à vivre dans une société qui autorise (et incite) les femmes à sortir de leur niqab, plutôt que dans un État où on les force à le retirer. »

Préfacé par le philosophe québécois progressiste Alain Deneault, qui y décèle « une boussole motivant et orientant nos combats », son essai, au titre provocateur, Maudites chartes !, entend répondre à ceux qui minimisent la valeur de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Déçu, déplore-t-il, par leur « 10 ans d’assauts contre la démocratie des droits et libertés », Lampron signale que la majorité populaire n’est pas un absolu.

Au début du livre réunissant surtout 31 de ses courts articles récents publiés dans des périodiques, dont Le Devoir, il cite à bon escient le philosophe britannique d’origine autrichienne Karl Popper (1902-1994) : « Il n’y a pas, dans la démocratie, de principe en vertu duquel la majorité a raison, parce que la majorité peut commettre d’énormes erreurs. » Par exemple, Lampron rappelle qu’Adolf Hitler a obtenu le pouvoir par la voie démocratique en 1933 en Allemagne.

Le juriste québécois souligne qu’en 1988, la Cour suprême du Canada « a établi que les tribunaux ne pouvaient pas évaluer la raisonnabilité des raisons invoquées par le législateur pour justifier son recours au mécanisme de la dérogation » à la Charte canadienne. Cependant, il estime que « la violation » de « droits fondamentaux » est si manifeste dans la Loi sur la laïcité de l’État que « l’évolution du droit constitutionnel et international en matière de droits de la personne » pourrait s’opposer à cette loi.

Lampron reste conscient que le débat est plus politique et philosophique que juridique. Il s’agit d’une lutte implacable entre le multiculturalisme fédéral, hérité de Pierre Elliott Trudeau, et l’interculturalisme québécois. Le juriste suggère même que « l’interculturalisme » soit « inscrit dans une charte québécoise autonome » pour obtenir en droit une portée plus sûre. Mais se doute-t-il que cela risquerait d’aboutir à l’idée évolutive de convergence culturelle, chère à Rocher mais contraire à la nature statique du multiculturalisme ?

Extrait de Maudites chartes!

« Comme tout contre-pouvoir efficace, les droits et libertés de la personne font l’objet d’attaques incessantes depuis plusieurs décennies, au Québec comme ailleurs dans le monde. Lorsqu’on ne les accuse pas de servir exclusivement à empêcher les criminels d’aller en prison ou d’empêcher la poursuite d’intérêts collectifs au sein des sociétés contemporaines, on les qualifie d’inutiles ou carrément d’antidémocratiques. »

 

Maudites chartes !

★★★

Louis-Philippe Lampron, Somme toute, Montréal, 2022, 240 pages



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