«Les coups de dés»: le Robin des Bois de la chance

L’écrivain montréalais Sean Michaels n’est pas du genre à se laisser rebuter par des thèmes ambitieux. Son premier roman, Corps conducteurs, s’attaquait aux chemins insondables et féeriques de l’amour. Avec Les coups de dés, il offre cette fois une fabulation foisonnante et excentrique sur le destin, la bonne étoile et les limites de la chance et du hasard.
Dans un quartier fictif de Montréal à la fois miteux et grandiose, les paons se pavanent au coin des rues, les joueurs font des paris les jours ensoleillés et les chaînes aseptisées remplacent les commerces de quartier.
Épicier, gambler et humoriste à ses heures, Théo Potiris n’hésite jamais à remettre son sort entre les mains du destin et de ses caprices. Tous les vendredis soir, il laisse au hasard le soin de décider s’il montera sur scène pour tester des blagues qu’il se fait un devoir de ne jamais répéter deux fois. Or, en ce printemps montréalais où le destin le frappe durement, Théo n’en a que plus que faire de la fatalité.
Portée par la virtuosité et l’imaginaire opulent de son auteur, la quête de Théo vers un ailleurs plus prometteur le mène de surprise en surprise. Il tente d’abord de se joindre à La Patte de Lapin, une association de mathématiciens qui cherchent à prédire les issues des paris sportifs. Puis il découvre la Bande sans nom, un groupe de justiciers qui volent la chance — une substance identique au sable — à ceux qui ont pris plus que leur juste part.
Joyeux alliage entre le roman d’aventures et d’espionnage et la fiction philosophique, Les coups de dés est livré avec une énergie communicative et un humour rafraîchissant. Des comedy clubs de Montréal aux manoirs de Taipei, en passant par une retraite de méditation dans le désert marocain, Sean Michaels entraîne le lecteur dans un dédale de montagnes russes narratives.
L’étourdissement guette celui qui entrera avec méfiance dans cette riche galerie de personnages et cette pléthore d’idées aussi saugrenues qu’éblouissantes, superbement rendues par la traduction de Catherine Leroux. En unissant la forme au fond, l’écrivain jette un regard unique sur notre volonté de déjouer les modalités du hasard.
Extrait de «Les coups de dés»
Personne ne sait si la chance est comme l’eau ou comme le vin. Personne ne sait si elle a été inventée ou trouvée. Les voleurs expliquèrent à Théo que tout ce qu’ils savaient était qu’on n’en trouve pas sur les plages ou au fond des canyons. La substance accomplit ce que le sable n’accomplit pas : elle fait tourner les fortunes.
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Des rumeurs encore plus étranges circulaient, selon lesquelles toute la chance du monde aurait été volée dans le tombeau vide de Jésus. À l’intérieur de la Kaaba, à La Mecque. Qu’elle aurait été recueillie dans la crypte du roi Arthur, sur le plancher océanique du triangle des Bermudes, sur les sommets de l’Himalaya, ou qu’il s’agirait du trésor de l’Eldorado. Certains collectionneurs croient que c’est une invention de Newton, ou d’un scientifique japonais, raison pour laquelle Hiroshima aurait été bombardée. Peut-être qu’Amelia Earhart transportait clandestinement un changement de chance à bord de son avion. Ou qu’elle essayait de le récupérer.