Palmarès 2018: 12 temps forts de la littérature étrangère

Philippe Lançon
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L’arbre-mondeLe douzième roman de l’Américain Richard Powers est un récit arborescent, une « écofiction » complexe où les arbres sont maîtres des lieux. Fresque botanique et humaine à l’optimisme sombre, fascinant puits de connaissances et de mythes, L’arbre-monde réunit sous un seul tronc les histoires de neuf personnages qui, pour une raison ou pour une autre, vont converger vers la Californie et s’y rencontrer afin de protéger un immense séquoia menacé de destruction. Un livre militant, foisonnant et nécessaire. — Christian Desmeules |
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Ça raconte SarahL’auteure de 30 ans s’est hissée aux côtés des aspirants au Goncourt avec ce premier roman électrisant, que Marguerite Duras n’aurait pas renié et qui n’est pas sans rappeler certains aspects de l’oeuvre d’Annie Ernaux. Trêve de comparaison. C’est un livre sur la passion amoureuse, foudroyante… et tragique, comme il se doit. Entre deux femmes qui, jusqu’alors, n’avaient jamais eu le goût des femmes, et que tout sépare au premier abord. Ça raconte Sarah ou l’histoire d’une fascination jusqu’à l’autodestruction. — Danielle Laurin |
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Les chants du largeAprès Etta et Otto (et Russell et James), Emma Hooper met de nouveau la musicalité et l’immatérialité de sa plume au service d’un récit à l’orée du songe. Sur une île isolée près de Terre-Neuve, l’inéluctable disparition des bancs de morues contraint les pêcheurs à l’exil. Mais les Connor s’acharnent à rester. Les chants du large raconte une histoire universelle, une réflexion sur la puissance des liens forgés au cours des décennies, autant entre les hommes qu’avec la terre. D’une rare authenticité. — Anne-Frédérique Hébert-Dolbec |
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Le ministère du Bonheur suprêmeVingt ans après Le Dieu des Petits Riens, Arundhati Roy donne une fois encore la pleine mesure de son talent de conteuse avec Le ministère du Bonheur suprême, construit autour du destin compliqué d’un hijra — transgenre qui semble incarner toute l’exubérance et les contradictions de l’Inde. Le Vieux Delhi prend ici la forme d’un désordre organisé à la logique complexe, tandis que se multiplient les voix et les points de vue. Un roman labyrinthique qui déborde de personnages bigarrés et attachants. — Christian Desmeules |
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Le lambeauSurvivant de l’attentat de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015 (il aura tout le bas du visage arraché), journaliste à Libération, Philippe Lançon est revenu de loin. De la veille de cet événement sans fin jusqu’à l’attentat du Bataclan le 13 novembre de la même année, l’auteur nous raconte sans jamais laisser voir de colère son « petit Golgotha hospitalier », faisant avec pudeur et précision le récit de sa vie avant, pendant et après. Un témoignage bouleversant et un exorcisme ultrasensible. — Christian Desmeules |
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My Absolute DarlingChronique d’une relation empoisonnée qui prend la forme insoutenable et mensongère d’un « amour absolu » entre un père et sa fille adolescente, My Absolute Darling, tout premier roman de Gabriel Tallent, est un récit d’apprentissage accéléré gonflé de sève et de violence. Entre thriller explosif et « nature writing » à l’américaine, c’est un voyage au coeur des ténèbres à la puissance rare qui nous est livré par une écriture sensuelle et minutieuse. Une fable vénéneuse, froide et brûlante comme un fusil chargé. — Christian Desmeules |
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Marx et la poupéeMaryam n’a que six ans lorsqu’elle quitte l’Iran pour rejoindre son père à Paris. À son arrivée en France, la fillette est paralysée. Ici, l’accueil semble être un contrat unilatéral qui la force à se déraciner, à choisir une seule identité. À travers une mosaïque de souvenirs aléatoires narrés par bribes, Maryam Madjidi raconte les paradoxes et la douleur de l’exil. En revisitant ses fantômes, l’écrivaine entame une réflexion précieuse sur l’accueil et l’ouverture à l’autre. — Anne-Frédérique Hébert-Dolbec |
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Nous qui n’étions rienRoman ambitieux qui embrasse sept décennies et trois générations, Nous qui n’étions rien, troisième titre de la Montréalaise Madeleine Thien, réunit les deux grandes tragédies qui ont marqué la Chine au XXe siècle : la révolution culturelle de Mao et les événements de la place Tiananmen. Un roman puissant, complexe et remarquablement sensible, traversé de personnages fascinants et dans lequel la musique joue un rôle de premier plan. Un mélange parfait de l’intime et des secousses de la grande Histoire. — Christian Desmeules |
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Tous les hommes désirent naturellement savoirDésir, violence. Quête des origines, quête d’identité. Métissage. Homosexualité. Dans son seizième livre, Nina Bouraoui s’abreuve au noyau dur de son oeuvre, de sa vie. Mais par petites touches concentriques. On oscille entre son enfance algérienne, son histoire familiale et sa jeunesse parisienne, on s’immerge avec elle, pleine de honte et de culpabilité mais assoiffée d’amour, dans un monde parallèle de femmes entre elles, la nuit, dans le Paris des années 1980. Et on est ébloui par cette écriture aussi fine que dure. — Danielle Laurin |
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Le sillonUne femme rejoint son amoureux à Istanbul. Alors que la flamme vacille entre les deux amants, elle assiste à l’écroulement d’une ville. Puis, elle fait la découverte du charismatique Hrant Dink, journaliste d’origine arménienne assassiné en 2007 pour sa défense de la paix et des droits de l’homme. Avec un doigté inventif et rigoureux, Valérie Manteau entrelace savamment l’autofiction, le grand reportage et le plaidoyer politique pour raconter l’ampleur de la mutation qui s’opère en Turquie. Brillant. — Anne-Frédérique Hébert-Dolbec |
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Pêche« Poisse épaisse poisseuse empoissant la laine lourde engluée dans les plaies, mes pas pressés ravaudant ma peau fendue, ma mitaine humide raclant le mur. » C’est la première phrase de Pêche, surprenant premier roman d’une Anglaise de 30 ans. Emma Glass se met dans la peau d’une adolescente violée, seule au monde avec son corps en charpie et son âme meurtrie. Mais en sourdine, l’héroïne met au point un plan diabolique. Le tout servi par un langage métaphorique inventif, étincelant, et un rythme scandé, qui rentre dedans. — Danielle Laurin |
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La vérité sort de la bouche du chevalC’est écrit sous forme de journal intime, dans le langage de la rue. Comme si la narratrice, prostituée marocaine de 34 ans engluée dans la misère et la violence ambiantes, se confiait aujourd’hui à nous. Mais c’est loin d’être misérabiliste. L’auteure d’origine marocaine, Meryem Alaoui, 43 ans, a plutôt choisi pour son premier roman la veine humoristique. À l’image de son héroïne truculente, qui combat quotidiennement pour sa survie avec une gouaille pas possible… et une carte cachée dans son jeu. — Danielle Laurin |
Meilleure Bande dessinée

Meilleure bédé de l’année, vous dites ? Plutôt de la décennie ! Avec son premier tome (de deux) des aventures de la petite Karen Reyes — plus loup-garou que fillette —, Emil Ferris se taille une place parmi les grands du neuvième art. Entre poésie et grotesque, cette brique de plus de 400 pages emmène le lecteur avide dans les ruelles sombres du Chicago des années 1960, à la recherche d’indices concernant le meurtre d’une jolie survivante de l’Holocauste. Si l’histoire est addictive, le dessin majestueux de Mme Ferris — entre Otto Dix et Daniel Clowes —, entièrement exécuté au stylo-bille, hisse le livre au rang d’oeuvre d’art.
Moi, ce que j’aime, c’est les monstres
Emil Ferris (Alto)
Sophie ChartierMeilleur polar 2018

Un récit intimiste qui se dévoile lentement, une touche à la fois, une horreur cachée derrière l’autre, et qui nous rejoint au coeur des préoccupations les plus actuelles. Une catastrophe environnementale jamais révélée, un personnage lumineux qui rame sur la lagune et une écriture fine et profonde, qui réussit à nous ébranler en remettant en question tous nos petits silences plus ou moins acceptables.
Les disparus de la lagune
Donna Leon, (Calmann-Lévy « Noir »)
Michel Bélair