Les nombreuses zones grises de la durabilité
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Les 20 ans du CIRAIG
Calculer si un produit, un procédé ou un service est plus durable qu’un autre est un processus qui est rarement noir ou blanc. Alors que l’on entend de plus en plus parler de carboneutralité, des experts s’accordent pour dire que le chemin pour s’y rendre est beaucoup plus complexe que le laissent parfois croire les politiciens. Coup d’œil sur les facteurs entourant la mesure du développement durable.
« Si je peux résumer la durabilité, c’est un mode de vie collectif qui permet de vivre à l’intérieur des limites de ce que l’environnement et l’écosystème peuvent supporter », explique d’entrée de jeu le professeur titulaire de Polytechnique Montréal Manuele Margni, qui travaille également au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG).
La première définition écologique de la durabilité remonte à 1987. Elle avait été rédigée dans le cadre du rapport Brundtland par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies. De son côté, l’équipe du CIRAIG, qui regroupe les expertises de Polytechnique Montréal et de l’Université du Québec à Montréal, travaille depuis maintenant 20 ans à calculer les mesures et les métriques de la durabilité grâce à différents outils.
« Pour nous, la durabilité, c’est s’assurer qu’un processus, un procédé, un service, une action ne transfère pas d’impact à un autre et aussi que les impacts environnementaux de ces derniers sont les moins élevés possible », ajoute le directeur général du CIRAIG, lui aussi professeur à Polytechnique, Réjean Samson. Il précise que les métriques utilisées pour calculer les impacts sont nombreuses, que ce soit l’écotoxicité, la production de gaz à effet de serre (GES), l’influence sur les changements climatiques ou encore l’extraction de matières.
Le cycle de vie d’un produit
Un des outils fréquemment utilisés pour mesurer la durabilité est l’analyse du cycle de vie (ACV).
« C’est une méthode qui permet d’évaluer les impacts potentiels environnementaux, sociaux et les coûts associés à toutes les étapes de la vie d’un produit, c’est-à-dire de l’extraction des matières premières à l’élimination ou au recyclage, en passant par le traitement des matériaux, la fabrication, la distribution, l’utilisation, la réparation et l’entretien », peut-on lire sur le site Web du CIRAIG.
« Quand on dit que tout est inclus, c’est vraiment cela. On regarde toute la matière, s’il y a du CO2, du lithium, du cobalt, on regarde les centaines de composantes chimiques, les énergies, l’eau, tout ce qui est consommé par les usines, toutes les opérations de transport pour arriver à se rendre à l’utilisateur. C’est très technique et, à la fin d’une analyse, nous avons une immense matrice d’information qui contient tout ce qui rentre comme matières, par exemple dans la production d’un cellulaire, et tout ce qui sort dans l’environnement aux différents stades de la vie du téléphone, jusqu’à la façon dont on se débarrasse de celui-ci lorsqu’il est en fin de vie », illustre le professeur Samson.
Manuele Margni compare la méthode de l’ACV à une comptabilité environnementale ; « on calcule le coût environnemental d’un produit ». De cette façon, il est possible de comparer des biens ou des services et d’être en mesure d’évaluer lequel est meilleur pour l’environnement.
« On veut s’assurer que l’on compare deux produits de manière équivalente. Quand on est capable de faire cette comptabilité environnementale, on peut arriver à dire si le produit A est meilleur que le produit B », résume-t-il.
Cela est cependant rarement tout blanc ou tout noir, et de plus en plus de métriques peuvent être ajoutées dans le calcul de l’ACV. Plusieurs chercheurs incluent maintenant dans leurs analyses des impacts sociaux, comme les conditions salariales là où certains produits sont fabriqués.
Et il faut aussi prendre en compte les matrices de fonctionnalité.
« Supposons que les produits à analyser soient les vaccins contre la COVID-19 : on ne peut pas ne pas tenir compte de leur fonction, qui est essentielle, puisqu’il s’agit de prévenir une maladie. L’idée ici, c’est de départager l’utilité et l’impact d’un produit ou d’un service. C’est toujours une évaluation comme celle-ci que nous devons faire pour arriver à une décision », dit Réjean Samson.
Pour que les gouvernements et la science travaillent en amont
M. Samson croit que beaucoup d’incertitudes planent encore quant au « rêve » que nous embrassons de devenir une société carboneutre d’ici 2050. « Quand on parle de carboneutralité, on parle de trajectoire. Va-t-on vraiment arriver avec cette trajectoire à des résultats probants ? Ça reste à voir, mais il faut aussi s’assurer qu’on ne cause pas plus de problèmes qu’on en résout. On peut facilement se lancer dans des actions de carboneutralité et arriver à faire des choix qui ne sont pas optimaux », explique-t-il.
Il appelle les entreprises et les gouvernements à faire réaliser des études comme l’ACV avant de lancer des projets. « Souvent, nous recevons des mandats alors que tout est déjà décidé. Le grand problème, c’est que les gens ont une perception de ce qui est durable et de ce qui ne l’est pas, mais ils n’ont pas une connaissance réelle de l’ensemble des enjeux », souligne-t-il.
Dans cette transition qui s’annonce, les deux experts sont d’accord pour affirmer qu’on ne peut pas aller vers la carboneutralité au niveau mondial sans avoir une vraie réflexion sur la façon de le faire.
« Nous n’avons plus le temps de prendre de mauvaises décisions », constate M. Samson.
Avenir incertain
« Souvent, on oublie que l’on fait partie d’un écosystème et que, pour vivre, nous avons besoin de l’ensemble des services que cet écosystème nous fournit. Si l’on continue à ne pas se soucier de l’environnement, il viendra un moment où ces services seront réduits et il faudra se poser la question de la façon dont nous allons répondre à nos besoins sans les ressources que l’environnement nous apporte », rappelle Manuele Margni.
Réjean Samson croit également que plusieurs questions de durabilité résident dans la complexité de ces derniers.
« On ne sait pas toujours comment la planète va réagir exactement, ni comment les choses vont tourner. Un changement à un endroit entraîne invariablement un autre changement ailleurs. Tout cela est très complexe, c’est pourquoi il est difficile de donner un avis noir ou blanc », conclut-il.
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