La «loi 96» ne donne pas mauvaise réputation au jeu vidéo québécois

La réforme de la Charte de la langue française mise en place par le gouvernement Legault froisse certains professionnels du jeu vidéo qui refusent d’apprendre le français dans les délais prescrits. Ceux-ci croient aussi que l’obligation d’apprendre la langue de Molière fera fuir en masse les travailleurs du secteur, chose que contestent des représentants de l’industrie.
« Cette perception est venue après que certains professionnels du jeu vidéo se sont dits fâchés de la situation dans les médias, mais on ne perçoit pas de réel problème de façon générale », affirme au Devoir le directeur général de la Guilde du jeu vidéo du Québec, Jean-Jacques Hermans. « Il y a une certaine surcharge administrative pour certains petits studios, mais on ne se fait pas de souci : nous avons préparé un guide pour les aider à s’adapter. »
Le projet de loi 96, adopté par l’Assemblée nationale à la fin mai, exige que les nouveaux arrivants maîtrisent suffisamment le français pour obtenir des services de l’État québécois seulement six mois après leur arrivée dans la province. La loi oblige aussi les plus petites entreprises — celles qui comptent entre 25 et 49 employés — à se soumettre aux mêmes obligations linguistiques que les PME de 50 à 99 employés. Ce qui ne fait pas l’affaire de tout le monde.
« Vous le voyez déjà, il y a quelques personnes qui regardent la “loi 96” et qui se disent : “OK, c’est le temps pour moi de faire mes valises et de m’en aller.” » C’est ce qu’a affirmé de façon anonyme à CBC à la fin juin un travailleur fraîchement débarqué dans le monde du jeu vidéo montréalais. Celui-ci craignait de ne pas pouvoir décrocher un emploi auprès d’un éditeur local étant donné qu’il ne maîtrise pas le français et qu’il ne semble pas enclin à s’y mettre prochainement.
Sa crainte n’était finalement pas fondée — l’entreprise au sein de laquelle il espérait travailler lui a dit que la nouvelle loi ne changerait rien à ses activités quotidiennes et que les réunions continueraient d’avoir lieu en anglais. En fait, l’éditeur a aussi laissé entendre que l’apprentissage du français demeurerait facultatif et, qu’en fait, personne n’allait l’exiger, explique CBC dans son article.
Mais c’est sa première affirmation qui s’est fait le plus remarquer, admet Jean-Jacques Hermans. « Il y a eu certaines questions suite à l’entrevue de CBC », mais cela demeure de l’ordre de l’anecdotique, assure-t-il. « On sait que [le jeu vidéo] est un écosystème qui a longtemps fonctionné en anglais de façon prédominante. La Guilde travaille de près avec l’OQLF depuis longtemps pour tenter de franciser l’industrie. »
« Est-ce que dans le contexte d’un marché du travail plus serré ça cause des soucis ? Pas plus que dans d’autres écosystèmes. »
Guichet unique demandé
La main-d’oeuvre spécialisée dans le jeu vidéo se fait rare partout dans le monde. La même chose vaut à l’échelle du Canada, où le Québec, l’Ontario et la Colombie-Britannique rivalisent d’audace pour attirer les professionnels dont ont besoin leurs entreprises.
Ce sont surtout les nouvelles mesures administratives imposées par la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (l’ex-projet de loi 96) et qui touchent les éditeurs aux moyens plus modestes qui embêtent la Guilde. Car avant de faire déménager au Québec des dizaines de futurs employés, les éditeurs continuent surtout d’ouvrir ou d’élargir des bureaux satellites ailleurs au pays.
« La logique n’est pas de déplacer des gens, plutôt de se rapprocher des travailleurs », dit Jean-Jacques Hermans. À ce sujet, la Guilde du jeu vidéo se range du côté des autres sociétés québécoises issues des secteurs technologiques qui demandent au gouvernement Legault de reporter la mise en application de certaines mesures de la loi 96 ou, du moins, d’accélérer la création d’un guichet réunissant tous les outils dont les entreprises ont besoin pour s’y conformer.
« Si on pouvait avoir un guichet unique pour des programmes d’aide à l’immigration par des studios qui ont à dealer avec ces nouveaux règlements et qui ont peu d’infrastructures, ça aiderait », poursuit le directeur général de l’organisme sectoriel. « En fait, la principale barrière pour notre écosystème se situe plus au niveau des seuils d’immigration et de l’accès aux programmes d’immigration. »
Tous les immigrants ne tiennent pas à apprendre le français, mais il y a certainement des travailleurs étrangers qui sont prêts à le faire pour venir travailler au Québec. Faciliter la mise en relation de ces gens avec des employeurs québécois semble le meilleur moyen de faire taire les critiques par rapport à la réforme de la Charte de la langue française, dit en quelque sorte Jean-Jacques Hermans.
« Si [apprendre le français] était notre seul enjeu dans le marché du travail, on serait super contents ! » conclut-il.