L’art performatif dans les yeux de Geneviève et Matthieu

Le duo Geneviève et Matthieu, originaire de Rouyn-Noranda, ne s’est jamais contenté de la région. En plus d’y avoir établi une réputation solide, le collectif a exposé ses œuvres à travers le Canada et même en Europe. Les deux artistes voient le voyage comme une inspiration pour créer leur art.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le duo Geneviève et Matthieu, originaire de Rouyn-Noranda, ne s’est jamais contenté de la région. En plus d’y avoir établi une réputation solide, le collectif a exposé ses œuvres à travers le Canada et même en Europe. Les deux artistes voient le voyage comme une inspiration pour créer leur art.

Un énorme fossé, croirait-on, sépare musique et art contemporain. Depuis leur nid de Rouyn-Noranda, Geneviève Crépeau et Matthieu Dumont, eux, n’ont pas eu peur de le franchir. Albums alternatifs, art performance, gestion d’un centre d’artistes (L’Écart), ils n’ont cessé de sauter d’un univers à l’autre, tantôt en solo, tantôt (et surtout) en duo.

Geneviève et Matthieu, collectif actif depuis vingt ans et des poussières, carbure au mélange d’univers, sans complexes, sans limites, sans retenue. Pour La Jamésie ostie/Les enfants du plomb (2014), son quatrième et dernier album, ce couple dans la vie a roulé 1000 kilomètres. Vers le nord.

« On est allés jusqu’à Chisasibi. Il n’y a plus de poteaux de téléphone, plus d’électricité. Tu fais une crise d’asthme d’éloignement », résume la voix féminine.

Le nouveau projet de Geneviève et Matthieu, « une œuvre évolutive et protéiforme » intitulée M. Gros, tient dans l’excès baroque, la gestuelle expressionniste et la simplicité propre à l’arte povera. Avec tout le poids des objets rassemblés, il prend son envol mardi, comme spectacle performatif au théâtre La Chapelle. Un mois plus tard, il deviendra exposition, à la galerie Pierre-François Ouellette art contemporain.

Quatre jours avant la première, la scène de La Chapelle — le plancher, plutôt —, était densément peuplée. Derrière la panoplie d’objets visibles, d’une faucille à une machine à coudre, une toile recouvrait une montagne de choses. « C’est Madame Immondices », précise Geneviève Crépeau, amusée de citer la série de son enfance, Fraggle Rock. « Lui, c’est Bébé Steve », ajoute-t-elle en désignant un autre personnage.

À la performance de « sculptures vivantes » se joindront des êtres en chair et en os comme « l’artiste-en-jachère » et « le priseur-commissaire-qui-haït-l’art-contemporain » qu’incarneront des collaborateurs du duo. Matthieu Dumont, lui, sera « cordonnier-joueur-de-guitare », sa partenaire, « la Chose ». Tout ce monde et d’autres âmes plus ou moins terrifiantes, du « skin-ski-doo-d’Amos » à « l’artiste-copieur », s’invitent à une enquête du type Meurtre et mystère.

« On est au vestiaire et on se demande ce qui va arriver. Et tout tombe à plat. C’est poétique, on est dans les ambiances, on met la table », avertit Geneviève Crépeau.

L’œuvre aborde les enjeux de la surveillance, de l’infiltration, de la trahison ou du vol d’idées. « C’est expérimental et narratif », confie Matthieu Dumont.

Lors du volet exposition, en novembre, la captation vidéo des performances donnera un « second souffle » à M. Gros. « [On travaillera] avec la notion des caméras », dit-il, évoquant le recours à des caméras cachées et au genre du faux documentaire. « La thématique de la surveillance est une façon de créer. Ça devient un outil », poursuit celui qui remercie Pierre-François Ouellette de leur offrir une semaine supplémentaire pour monter l’exposition.

Le voyage, un moteur

 

L’automne 2021, le collectif Geneviève et Matthieu le passera à Montréal, d’un bout à l’autre. De janvier à juin, il sera à Paris, bénéficiaire d’une résidence à la Cité internationale des arts. Barcelone suivra et, après, il rentrera en Abitibi.

Depuis vingt ans, il a roulé sa bosse ainsi, d’un océan à l’autre, d’un pays à l’autre. Les séjours étaient seulement plus courts, car la réalité parentale et la gestion de L’Écart retenaient les deux créateurs à Rouyn-Noranda. Désormais libérés de ces responsabilités, ils peuvent quitter le nid plus longtemps.

« Le déplacement et le voyage nous poussent à faire de l’art. C’est notre moteur », résume Geneviève Crépeau. « On pense au transport », renchérit Matthieu Dumont. Car tout doit rentrer dans la camionnette familiale. « Ce n’est pas une limite, mais on utilise des tissus qui se plient bien, des peaux en silicone qu’on enroule et manipule facilement. »

Qu’on ne s’y trompe pas : à Rouyn-Noranda, on ne s’ennuie pas. Si le duo a un pied créatif dans le nomadisme, l’autre est bien posé dans sa ville. Geneviève Crépeau, qui fuit les ghettos, chérit les rencontres. « Ce que j’aime, c’est aller là où la mixité est possible. En région, assure la diplômée de l’UQAM, tu n’as pas le choix de t’ouvrir et d’être en contact avec différentes personnes, pas juste avec tes pairs. Ça génère beaucoup d’humanité. »

Crépeau et Dumont ont traversé unis joies et tempêtes. La décision de tout créer à deux a été renforcée lors du symposium de Baie-Saint-Paul en 2010, porté par l’intitulé « L’union fait la force ». L’album sur la Jamésie est venu après, mais, depuis, la fusion de l’habileté technique de l’une et le geste expressif inné de l’autre s’expriment dans des récits sans étiquettes, dans des installations sans réserve. C’était le cas de L’opéra d’or (2019) — « décapante dystopie », selon Le Soleil —, ce sera le cas de M. Gros, axée sur le côté radical de l’art performance. « On travaille sur les concepts de la nudité, de la torture, de l’endurance…, mais pour les démonter, s’en amuser », signale le duo. Et c’est un maître des apparences, Rémy Couture, qui a créé les peaux que Geneviève Crépeau portera pour « être nue sans l’être ».

Ce que j’aime, c’est aller là où la mixité est possible. En région, tu n’as pas le choix de t’ouvrir et d’être en contact avec différentes personnes, pas juste avec tes pairs. Ça génère beaucoup d’humanité.

 

Et le saut du côté musique, fini ? Matthieu Dumont, le compositeur de la paire, laisse sa complice répondre. « Dégueulasse, le marché de la musique, dit-elle, sans ambages. C’est tellement une affaire de festivals, de bars, de bière, de mode. La création, on n’en parle jamais. »

Sans crainte, pour vos oreilles : M. Gros possède son enrobage sonore et musical.

 

M. Gros 

De Geneviève et Matthieu. Au théâtre La Chapelle, du 12 au 15 octobre, et à la galerie Pierre-François Ouellette art contemporain, du 13 novembre au 18 décembre.

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