À la recherche du pays métis

Artistes, ils ne s’encombrent pas des frontières, et leur regard peut porter beaucoup plus loin que l’horizon. En fermant les yeux, ils peuvent voir jusque dans le passé, du temps où les Autochtones du Québec occupaient l’intérieur des terres, avant qu’ils ne soient cantonnés dans des réserves.
Là, ils rencontreront peut-être le canayen, cet ancêtre des Québécois, « ce coureur des bois engagé », dont l’engagement se terminait avec le contrat de traite, le laissant ensuite trapper à loisir sur le territoire. « Il était un homme libre, sinon le premier homme libre du territoire, littéralement », écrit Pierre Bastien dans son essai Paroles amérikoises.
« Cet homme libre, c’est un peu nous, les sans pays, il nous a donné naissance, d’un point de vue identitaire relativement récent et culturellement parlant ; de Miron à Leclerc, en passant par Aquin et Guèvremont, ce personnage apatride multiplie ses échos indistincts, dans nos poèmes, nos romans et nos chansons », ajoute-t-il.
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C’est aux côtés de poètes et de penseurs que le cinéaste Pierre Bastien a entamé cette démarche. À l’appel de son ami Louis Hamelin, qui signe la préface du livre, Bastien a participé à une rencontre d’écrivains organisée autour du projet de barrage de La Romaine, en 2009, dans la foulée du livre Aimititau, parlons-nous !, qui réunit des auteurs du Québec et des Premières Nations, paru en 2008 aux éditions Mémoire d’encrier.
« Ma poésie n’arrêtera pas les bulldozers, c’est certain ! », dit la poète innue Joséphine Bacon, qui participait à la rencontre. De fait, les bulldozers sont passés. Et le complexe hydroélectrique de la rivière Romaine, qui a suscité une vive opposition, notamment au sein des Premières Nations, est aujourd’hui chose faite.
Mais les paroles amérikoises persistent. Après en avoir fait un premier film, Pierre Bastien a poursuivi sa réflexion, et Paroles amérikoises est ancré à la fois dans son dernier film et dans le scénario du prochain sur le sujet, Territoires, alliances et autres métissages, qui doit sortir en janvier.
En entrevue, Pierre Bastien explique que tout ce projet est né d’une quête identitaire. « Les Canadiens anglais ont eu leur définition de ce qu’était un Canadien il y a 20 ou 25 ans, et nous, on a été laissés de côté là-dedans », dit-il. Par conséquent, il s’intéresse aussi au très grand « ressac identitaire » que vivent les Autochtones.
« Moi, je trouvais qu’il fallait qu’on recentre nos positions », dit-il. Pour lui, il s’agissait de redécouvrir « le “Canada” véritable, qui est un Canada d’alliance entre les Premières Nations et les Canadiens, finalement, les descendants des Français ».
« C’est le territoire des Autochtones, mais c’est le territoire de nous aussi. Nous, pas dans le sens québécois du terme, nous dans le sens, de nous et les Premières Nations, nous les occupants du territoire. »
Car l’identité qu’il cherche ne s’enferme pas dans un concept politique. « Je ne suis pas un politicien, je ne peux pas rentrer là-dedans. Ce sont des questions pour les constitutionnalistes. Moi, mon expérience territoriale, elle est par la peau. Elle est par le sable, elle est par l’eau. Elle est par l’autre, par son regard, par son rire. Mon expérience est au niveau de l’humain, pas au niveau des lois. Je ne peux pas embarquer au niveau des lois parce que je ne connais pas ça. Ça n’est pas mon domaine. Je ne suis pas constitutionnaliste. »
L’identité qu’il y trouve est métisse, et témoigne de siècles de cohabitation avec les Autochtones qui pèsent plus lourd qu’on le pense dans le bagage québécois.
Concrètement, Pierre Bastien parle de sa rencontre avec la poète et militante innue Rita Mestokosho, devenue depuis une bonne amie. « La première fois que je suis arrivé chez elle, j’ai bien compris qu’on n’était pas chez moi, mais chez eux. Chez eux, dans le sens de “Pense pas que tu es chez toi partout”. Quand tu arrives et que c’est l’hôte qui te dit “voici la rivière, voici ceci ou cela”, c’est l’hôte qui te le montre. Tu es chez lui. » Cette histoire, elle n’est pas encore reconnue comme telle. Et Pierre Bastien aime citer Jean Morisset qui dit que « les peuples opprimés sont condamnés à la création ».
Tressés ensemble
« Serge Simon, ancien grand chef de la communauté mohawk de Kahnawake, disait en parlant des nations qui habitent le territoire : “Nous sommes tous tressés ensemble” », écrit dans son essai Pierre Bastien.
Le poète et médecin Jean Désy parle de « métisserie » pour nommer cette occupation partagée.
« On n’est pas des nations côte à côte », poursuit Pierre Bastien. En entrevue, il fait référence à un wampum détenu par le défunt chef spirituel anichinabé William Commanda. « Il y avait trois personnages qui se tenaient la main sur le wampum. Ils représentaient les Premières Nations, les Français entre guillemets et les Anglais entre guillemets. Je pense que ce que j’essaie de faire avec ce livre-là, c’est de retracer un peu le parcours qu’on a fait pour nous donner des bases de discussions qui sont saines, et non des discussions où nous sommes perdus dans un genre de melting-pot canadien à la Trudeau, où personne n’est rien, mais où tout le monde parle anglais, où tout le monde est ghettoïsé. »
L’auteur est bien accompagné pour mener sa quête. Son livre et le film à venir sont étayés des propos de Jean Morisset, Jean Désy, Rita Mestokosho, Joséphine Bacon et Yves Sioui Durand, entre autres.