Les douze travaux de l’ADISQ

Les ententes collectives et la Loi sur le statut de l’artiste sèment la discorde entre producteurs et musiciens.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Les ententes collectives et la Loi sur le statut de l’artiste sèment la discorde entre producteurs et musiciens.

Cent jours après avoir pris la direction générale de l’Association des producteurs de disques et de spectacles du Québec (ADISQ), Ève Paré prend la pleine mesure des défis que le milieu de la musique devra affronter. D’autant que ses interlocuteurs à l’Union des artistes (UDA) et à la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec (GMMQ) abordent prudemment ce prochain cycle de négociations, échaudés par de récents épisodes de ruptures.

Au cœur des litiges : le renouvellement de la Loi sur le statut de l’artiste promis par le gouvernement Legault et la négociation de nouvelles ententes collectives liant l’ADISQ à l’UDA et à la GMMQ. Des ententes échues depuis plus de vingt ans qui, de l’aveu de la directrice générale, nécessitent d’être « modernisées ».

L’entente collective de travail entre l’UDA et l’ADISQ concernant l’enregistrement sonore est échue depuis le 30 novembre 2000, alors que celle liant la GMMQ à l’association de producteurs est arrivée à terme en 1998. Depuis, plusieurs cycles de négociations se sont tenus entre les différentes parties sans jamais aboutir, ce qui exaspère les deux associations d’artistes.

La question autour du renouvellement de ces ententes visant à établir un meilleur partage des revenus tirés de l’enregistrement sonore entre les producteurs et les artistes a refait surface lors d’une sortie, le 25 novembre dernier, de l’auteur-compositeur-interprète Philémon Cimon, à l’émission Pénélope sur ICI Première. Le musicien affirmait alors que l’ADISQ « continu[ait] de saboter les tentatives de négociations, jusqu’au 1er octobre dernier où [l’ADISQ] a dit [à l’UDA] : “Ah, finalement, on n’a plus envie de négocier” ».

En entrevue au Devoir, Ève Paré a tenu à « rectifier les faits » : en octobre dernier, affirme-t-elle, l’ADISQ contactait ses interlocuteurs de l’UDA et de la GMMQ dans le but de les informer de sa volonté de faire table rase des précédentes négociations pour « repartir sur une page blanche [et en arriver à] une entente qui soit moderne et actuelle plutôt que de rafistoler de vieilles ententes » échues depuis deux décennies et pourtant toujours en vigueur, à défaut d’un nouveau pacte. Un premier document servant de « cadre de négociations » a ensuite été transmis à l’UDA et à la Guilde. Les discussions pourraient débuter en début d’année « avec une volonté très ferme de négocier » de la part de l’ADISQ, assure Ève Paré.

Terrain d’entente

Les représentants de l’UDA et de la GMMQ confirment qu’un nouveau cycle de négociations est souhaité par l’ADISQ, mais « on a déjà joué dans ce film-là », laisse tomber Sophie Prégent, présidente de l’Union des artistes depuis 2013. Elle rappelle que le précédent cycle, amorcé en 2019, avait pourtant abouti à une entente de principe avec l’ADISQ, l’UDA et Artisti, la société de gestion collective de droits d’artiste interprète créée par l’Union.

Or, comme Philémon Cimon le révélait le mois dernier, les négociations ont été « rompues par l’ADISQ » en octobre dernier, confirme Sophie Prégent. « L’UDA a signé 57 ententes collectives ; du nombre, seules deux doivent encore être négociées », toutes deux avec l’ADISQ, relève-t-elle.

L’ADISQ a d’ailleurs chargé un nouveau comité de négociations de trouver un terrain d’entente avec les associations d’artistes, auquel siègent deux jeunes producteurs, Laurence Lebel (directrice générale de la jeune maison de disques Artifice) et Jean-François Guindon (directeur de la coopérative Les Faux-Monnayeurs), un geste qu’elle décrit comme une ouverture. « On veut changer la dynamique et le ton » des discussions, commente Ève Paré.

Depuis les années 1990, « il y a eu de multiples tentatives d’en arriver à un accord, mais ça a toujours achoppé sur certains points », regrette Luc Fortin, président et directeur général de la Guilde des musiciens et des musiciennes du Québec. « Mais comme les renouvellements d’ententes ne sont pas soumis à l’arbitrage, ça peut durer très longtemps ». La Guilde aussi était parvenue à une entente de principe avec l’ADISQ, entérinée par son assemblée générale, en 2016, mais elle aussi a fait long feu.

C’est d’ailleurs une des demandes formulées par la Guilde dans le cadre du renouvellement de la Loi sur le statut de l’artiste : en cas de blocage dans les négociations, qu’un renouvellement d’entente collective puisse être soumis à l’arbitrage. « Ça n’existe pas dans le Code du travail, mais la différence, c’est que les travailleurs d’une usine, eux, peuvent déclencher la grève, explique Luc Fortin. Nous, les 2000 pigistes qui travaillent avec plein de monde différent, ça devient difficile de partir en grève. »

Modèles d’affaires

Les audiences concernant la refonte de la Loi sur le statut de l’artiste, attendues l’année prochaine, pourraient également mettre au jour le fossé qui sépare l’ADISQ et les artistes. L’une des questions appelées à être débattues touche le statut de l’artiste autoproducteur, ou artiste entrepreneur, réclamé par une proportion de plus en plus grande de musiciens indépendants ; définir l’artiste en tant que producteur (d’enregistrement sonore ou de spectacle) lui permettrait d’obtenir du financement de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), jusqu’à présent réservé aux producteurs reconnus, dont la majorité sont membres de l’ADISQ.

La SODEC a récemment demandé aux acteurs du milieu de la musique de participer à une étude « sur les dynamiques entrepreneuriales et les évolutions des pratiques contractuelles dans le secteur de la musique au Québec » — ou, comme le décode Artisti, « sur le financement des différents modèles d’affaires en musique, ainsi que sur la place de l’autoproduction dans l’écosystème musical québécois ».

D’ici à ce que le résultat de cette étude soit rendu public, l’ADISQ gardera sa position traditionnelle, réitérée dans son mémoire déposé le 1er février dernier dans le cadre du Processus de révision des lois sur le statut de l’artiste : « La SODEC sert à appuyer les entreprises culturelles », ce que ne sont pas, aux yeux de la loi, les artistes autoproducteurs.

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