Les correspondances de SEULEMENT

Pour la première fois, l’auteur-compositeur écrit et chante en français. «Je n’aimais pas écrire des paroles de chansons avant, admet-il. Étrangement, depuis que j’ai fait l’effort conscient d’écrire en français, j’y prends vraiment plus goût. J’ai aussi plus de facilité à écrire des textes qui me parlent.»
Photo: Hubert Hayaud Le Devoir Pour la première fois, l’auteur-compositeur écrit et chante en français. «Je n’aimais pas écrire des paroles de chansons avant, admet-il. Étrangement, depuis que j’ai fait l’effort conscient d’écrire en français, j’y prends vraiment plus goût. J’ai aussi plus de facilité à écrire des textes qui me parlent.»

Le premier album solo de Mathieu Arsenault, EX PO, est déjà une révélation en soi, une fusion pratiquement inouïe au Québec de chanson francophone et de musique électronique expérimentale, mais en voici deux autres à propos de sa confection. D’abord, la majorité des sons, trafiqués, hachurés, étirés, ondulés, sont ceux de sa propre voix, passés à travers ce synthétiseur modulaire qu’il a mis des années à assembler. Ensuite, Arsenault s’est amusé à dissimuler à travers les huit chansons de minuscules échantillons d’indicatifs de stations de radio FM.

« Ma réflexion est semblable à celle qu’on avait avec Technical Kidman », le groupe rock/électro d’avant-garde qu’il a cofondé et avec lequel il a lancé deux albums jusqu’à sa dissolution en 2018. « On samplait alors des publicités ; l’idée est de récupérer quelque chose qui nous est imposé. Car c’est ça, la culture populaire de masse : on ne la choisit pas, on la subit, comme quand tu entres dans une pharmacie et que la radio joue. Moi, je prends ça, je me l’approprie, je transforme en quelque chose d’autre pour lui donner une nouvelle signification. Ces jingles radio sont entrés en moi sans que je l’aie accepté, alors maintenant, ça m’appartient d’entrer en dialogue avec et d’en faire quelque chose. »

Et dans ce dialogue, se définir, poursuit Arsenault, qui place la quête identitaire au centre de son album. Le besoin d’abord de « trouver sa propre voie, dit-il, dans ce monde où on est bombardé par des trucs qui peuvent avoir une influence sur nous. Trouver l’équilibre entre notre besoin de façonner le monde qui m’entoure, tout en reconnaissant l’influence qu’il exerce sur ce que nous sommes. »

Ce n’est pas le seul geste d’engagement artistique que pose Arsenault sur son premier album à paraître sous le nom de scène SEULEMENT : pour la première fois, l’auteur-compositeur écrit et chante en français. « Je n’aimais pas écrire des paroles de chansons avant, admet-il. Étrangement, depuis que j’ai fait l’effort conscient d’écrire en français, j’y prends vraiment plus goût. J’ai aussi plus de facilité à écrire des textes qui me parlent. »

Qui parlent de quoi, au juste ? C’est flou, même pour lui. « Mon inspiration vient du son, c’est-à-dire que je vais improviser, petit à petit déterrer une mélodie, jusqu’à ce que ça vienne. J’improvise en chantant des phonèmes, et un texte émerge. Donc, pour moi, écrire, c’est souvent ne pas comprendre de quoi la chanson parle avant qu’elle soit bien avancée. Mais il y a quand même sur cet album des textes et des chansons », certes détachées des contraintes couplet/refrain (on est à des années-lumière de Brassens et Vigneault), mais ce sont indéniablement des chansons.

Trouver le bon équilibre

 

Au moment de commencer à travailler sur son album, l’auteur-compositeur-interprète cherchait à fusionner deux éléments qui lui sont chers : la chanson et la musique électronique expérimentale. Le résultat n’est rien de moins que stupéfiant. On pense à Björk, à Laurie Anderson, plus récemment à Jenny Hval, Arca ou à la compositrice colombienne Lucrecia Dalt, toutes des créatrices qu’admire Mathieu Arsenault.

Mais a-t-on déjà entendu au Québec un alliage aussi singulier de chanson francophone et de musique électronique expérimentale ? On pourrait remonter à Péloquin-Sauvageau et l’album Laissez-nous vous embrasser où vous avez mal (1972), mais là où le poète Claude Péloquin récitait et incarnait des personnages, Mathieu Arsenault chante, à pleins poumons, d’une voix mélodique et adoucie par des effets de studio qui contrastent avec les orchestrations minimalistes. Il chante surtout avec intensité, comme s’il venait de s’ouvrir les veines, comme s’il voulait que le monde entier l’entende avant de rendre son dernier souffle.

« J’étais souvent insatisfait par ce que j’entendais en chanson électronique, poursuit Arsenault. Souvent, on utilisait les instruments électroniques un peu de la même manière qu’on le ferait avec une guitare ou un piano, pour en arriver à une écriture en fin de compte pas très différente. [Sur EX PO], j’utilise des codes, des sonorités et des gestes liés à cette musique électronique expérimentale que j’aime depuis des années, mais en cherchant le bon équilibre avec la chanson. »

Ainsi, les codes, les formes et les sonorités des musiques électroniques d’avant-garde ont eu une influence directe sur la manière de composer les chansons « dans la mesure où, pour moi, ces musiques s’écrivent à partir des sons, non pas à partir des accords ou des notes. Tout est question de timbre et de dynamique à la base », ceux de sa voix traitée par le synthétiseur.

« Ce que j’aime de la voix [comme matériau de base], c’est que c’est imparfait. Un oscillateur de synthétiseur, il fait exactement ce qu’on attend de lui, parfaitement. La voix, elle, chancelle, elle craque. Souvent, je vais superposer des pistes de ma voix avant de les rentrer dans mon synthé. La voix, les sons bougent un peu, comme si elles avaient une vie propre. Le traitement de ce son dans le synthé donne un résultat plus mécanique, systématique. Je trouve que la correspondance de ces deux gestes, le chant et le traitement synthétique, rend le son plus sinueux et intéressant. »

EX PO

De SEULEMENT sur étiquette Mothland ; SEULEMENT sera en concert le soir même au Pantoum de Québec, puis le 19 à la Sala Rossa, dans le cadre de M pour Montréal.

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