La survie du Conseil de presse du Québec est en péril, selon sa présidente sortante

Mme Beaugrand-Champagne déplore le manque de soutien financier de la part de Québec.
Jacques Nadeau Le Devoir Mme Beaugrand-Champagne déplore le manque de soutien financier de la part de Québec.

Sur le point de tirer sa révérence, la présidente du Conseil de presse du Québec, Paule Beaugrand-Champagne, sonne l’alarme sur les difficultés financières du tribunal d’honneur des médias, dont la survie est en péril, selon elle.

« C’est simple, ça va mal, laisse tomber d’emblée l’ex-journaliste en entrevue au Devoir. On a commencé à piger dans nos réserves, qui ne sont déjà pas grandes. Si on ne trouve pas davantage de financement, dans trois ans, ça va être terrible. Ça va être difficile de continuer. »

Le Conseil de presse du Québec (CPQ) a terminé l’année 2021 avec un déficit de 27 591 $. Depuis cinq ans, le Conseil oscille autour de l’équilibre financier, alternant les années déficitaires et les années excédentaires. Mais les surplus sont faibles, et le CPQ a dû puiser dans son fonds de réserve — qui s’élève à environ 785 000 $ — dans la dernière année. En 2021, 100 000 $ ont ainsi été retirés, et l’on prévoit de puiser encore 200 000 $ en 2022 pour assurer le bon fonctionnement de l’organisme.

« J’aurais tellement voulu assurer la pérennité financière du Conseil. Je suis déçue de ne pas avoir réussi à remplir cette mission, qui retombe sur les épaules de mon successeur. C’est mon plus grand regret », confie Paule Beaugrand-Champagne, qui quittera son poste après deux mandats le 19 mai prochain.

En huit ans, on ne peut pas dire qu’elle s’est tourné les pouces. La présidente s’est démenée pour renflouer les caisses de l’organisme, sa priorité dès son arrivée en 2014.

Elle raconte la mise sur pied d’un comité de financement pour revoir la grille tarifaire des cotisations des médias membres. « On fonctionnait encore selon les cotes d’écoute et les tirages, alors que plusieurs médias ont abandonné le papier. Cette formule n’avait plus de sens. »

La majeure partie des médias membres ont accepté de rehausser « généreusement » leur cotisation, indique-t-elle. Une poignée reste encore à convaincre, mais elle ne s’inquiète pas outre mesure. Elle se félicite par ailleurs d’avoir ramené certains médias dans les rangs de l’organisme, dont Montreal Gazette et les médias régionaux des Coops de l’information, qui ont frôlé la débâcle en 2019. Le Conseil s’active également à recruter de nouveaux membres parmi les magazines, dont L’Actualité et Urbania.

En contrepartie, elle regrette de ne pas avoir convaincu les médias de Québecor de redevenir membre du CPQ. « Non seulement je n’ai pas réussi à les ramener, mais en plus on se retrouve avec une poursuite », lance-t-elle.

Les médias de Québecor reprochent au Conseil de traiter les plaintes les concernant alors qu’ils ne sont plus membres depuis 2010. En agissant ainsi, le CPQ porte atteinte à leur droit fondamental, celui d’être libre « de ne pas s’associer », tel que cela est prévu dans la Charte des droits et libertés.

Soutien gouvernemental

 

Mais le principal problème, souligne Paule Beaugrand-Champagne, c’est le manque de soutien de la part de Québec. Si le ministère de la Culture et des Communications (MCC) renouvelle chaque année sa subvention au CPQ, celle-ci n’a pas été indexée au taux d’inflation depuis plus de dix ans. « Selon nos calculs, si [notre subvention] avait été au minimum indexée, on recevrait aujourd’hui 50 000 $ de plus par année. »

Le MCC n’a pas répondu aux questions du Devoir à ce sujet.

Cet argent, le CPQ en a besoin pour répondre à la demande grandissante du public. En 2021, 684 plaintes ont été reçues, contre seulement 111 en 2010. « Je vois ça comme une preuve que le public a davantage confiance dans notre conseil et comprend mieux son rôle. […] Dans cette ère de fausses nouvelles, il est également plus vigilant et n’hésite plus à porter plainte », estime Paule Beaugrand-Champagne.

Les réseaux sociaux ont aussi leur rôle à jouer dans l’explosion des plaintes. Elle donne l’exemple de l’année 2020, où, sur 1631 plaintes reçues, près de 1400 ne concernaient en fait qu’un seul et même dossier, celui de l’influenceuse Élisabeth Rioux. « Les premières personnes à porter plainte ont encouragé les gens sur leurs réseaux sociaux à faire la même chose. Notre boîte courriel était pleine. On s’est retrouvés avec des centaines de plaintes quasi copiées-collées, qu’on devait toutes lire. C’est une charge de travail incroyable. »

Le Conseil a d’ailleurs décidé par la suite que seules les plaintes transmises par l’entremise de son formulaire officiel en ligne seraient étudiées, pour limiter les plaintes en série, et que seules dix seraient retenues pour analyser un même cas ; les autres plaintes viendraient simplement en appui.

« Avec plus d’argent, on pourrait se permettre d’employer plus de monde, et donc de traiter plus de demandes plus rapidement », fait remarquer Paule Beaugrand-Champagne.

« J’espère que mon successeur arrivera à redresser nos finances, il le faut » dit-elle, rappelant le rôle fondamental du CPQ. « Pour que le métier de journaliste soit respecté, il faut se donner des règles et les respecter. Et ça prend un organe comme nous, avec l’aide du public, pour surveiller leur mise en application. […] Il y va du droit du public à une information de qualité. »

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